Il existe un certain type de personne qui arrive, par la concrétisation de leurs idées, à révolutionner leur domaine à tel point qu’on se demande pourquoi personne n’y avait pensé avant. De véritables visionnaires qui viennent bousculer tous les codes préexistants pour au final parvenir à établir une nouvelle norme s’inscrivant dans l’histoire. On pense notamment à Andy Warhol en tant que porteur du mouvement  Pop Art ou encore à Tinker Hatfield, le légendaire designer de chez Nike qui a établi les règles dans le domaine de la basket.

Gérald Genta

Il existe un homme de cette envergure dans le monde horloger. Un homme qui a su briser les frontières existantes en apportant sa touche personnelle : le défunt Gérald Genta. Ce dernier nous a quitté le 17 août 2011, mais même si son enveloppe charnelle repose quelque part dans les terres suisses, son esprit et son savoir-faire resteront à jamais gravés dans l’histoire de la haute horlogerie. Ce dernier est l’unique créateur de la Royal Oak pour Audemars Piguet, de l’IWC Ingénieur, de la Big Bang chez Hublot, mais aussi de l’Omega Constellation, sans parler des nombreuses collaborations avec Cartier, Van Cleef & Arpels, Chaumet, Hamilton, Seiko, Timex, etc.

Gérald Genta : le personnage

Charles Gérald Genta est né à Genève le 1er mai 1931 d’une mère suisse et d’un père italien. Après sa formation d’orfèvrerie et de joaillier qui fut concrétisée par un diplôme fédéral suisse, il fut recruté chez Universal Genève. À l’époque, cette manufacture horlogère était l’une des plus reconnues sur la planète, notamment pour ses chronographes. En 1954 et à tout juste 23 ans, après un contentieux relatif au brevet concernant le système révolutionnaire du micro-rotor (qui fut remporté par Universal Genève), Gérald Genta établit le design de la SAS Polarouter; une montre venant commémorer les vols polaires de la compagnie Scandinavian Airlines System.

Universal Genève Polerouter, Auctionata

La firme helvétique voulait qu’il crée une montre qui deviendrait la montre officielle des pilotes de la compagnie aérienne. Elle venait en quelque sorte récompenser la prouesse réalisée par les pilotes de l’époque qui avaient réussi à rallier Los Angeles par Copenhague en passant par le Pôle Nord. La version Polarouter très vite renommée Polerouter imaginée par le célèbre designer deviendra l’un des plus grands succès de la marque. Très vite, on remarquera l’empreinte du designer par son choix du cadran minimaliste et le choix des anses torsadées donnant un aspect à la fois robuste et élégant. Il réalisera aussi le design de la White Shadow, ou encore la Golden Shadow chez Universal Genève, des montres très recherchées à l’époque à cause de leur extrême finesse.

La consécration d’une vision révolutionnaire

Après cette collaboration qui durera jusqu’au milieu des années 1960, une multitude de firmes horlogères suisses vont faire appel à la vision révolutionnaire du jeune designer. La première d’entre elles fut Omega en 1959 qui demanda à Gérald Genta de redonner un peu de fraîcheur à sa collection Constellation. Un premier défi de taille, car la collection constituait pour Omega l’équivalent de la Datejust chez Rolex, soit le parfait mélange entre montre sportive et élégante. Elle a d’ailleurs longtemps été considérée comme le modèle phare d’Omega du fait qu’elle soit un véritable chronomètre.

Omega Constellation “Pie Pan” 1966, OmegaForums

C’est d’ailleurs grâce au renouveau de cette collection qu’Omega assura pendant près d’une décennie sa place sur le trône en matière de montre haut de gamme. En effet, jusqu’en 1969, Omega était sur la numéro 1 en matière de vente de chronographes, devant son concurrent Rolex. Ce premier défi fut une véritable réussite pour notre designer. La vision nouvelle de Gérald Genta lui permet très vite d’obtenir une grande notoriété et fait apparaître la notion de « designer star ». L’ensemble de ces travaux lui permettent de travailler pour toutes les grandes maisons horlogères.

La naissance d’une forme octogonale légendaire

En 1970, la maison Audemars Piguet contacta le designer pour dessiner la montre qui deviendra la plus iconique de la marque. Vous avez sans doute compris que nous parlons ici de la Royal Oak. L’histoire raconte qu’il dessina le modèle de sa vie en une seule nuit en s’inspirant d’un plongeur qui portait un ancien casque de plongée attaché au reste de sa combinaison par 8 vis. De cette idée, qui fut un véritable coup de maître, il transposa la forme octogonale en conservant les vis sur la lunette.

Modèle déposé « Royal Oak », Gérald Genta

Cette forme si moderne, à la fois élégante et sportive, reste aujourd’hui la forme qui détermine aux yeux des amateurs de belles pièces, l’estampille de la marque Audemars Piguet. Elle marque aussi l’apparition de la première montre de luxe en acier. En effet, Audemars Piguet à l’époque dans la tourmente financière, laissa Gérald Genta prendre cette décision de faire cette montre en acier pour un public fortuné italien. Toutefois, elle comportait déjà le calibre 2121 basé sur un mouvement Jaeger-LeCoultre encore considéré aujourd’hui comme l’un des mouvements les plus performants de l’histoire horlogère.

Royal Oak Extra Thin 40, Audemars Piguet

Une inspiration marine et une réussite de plus

La maison Patek Philippe, dirigée par la famille Stern depuis 1932, demanda à Gérald Genta de réaliser dans un premier temps la Golden Ellipse en 1968. Cette montre à la forme elliptique, entre un cercle et un rectangle, dispose d’un cadran marin laissant comme flotter les aiguilles dorées à la surface des profondeurs. Comme les designs précédents, ce fut un choix totalement innovant sur le marché de l’horlogerie, et Gérald Genta sut une fois de plus imposer son style. Patek Philippe fera de nouveau appel à ses services 8 ans plus tard pour créer un modèle, n’ayons pas peur des mots, légendaire.

Patek Philippe Golden Ellipse, Bukowskis

Grand nom de la montre à complication et des montres de soirée, Patek Philippe n’était pas vraiment présent sur le segment des montres sportives. En 1976 et de nouveau en s’inspirant d’un hublot de casque de plongée, Gérald Genta va donner naissance à un modèle légendaire : la Patek Philippe Nautilus 3700/1. Cette montre dispose d’une lunette octogonale avec des angles adoucis; elle vient incarner le parfait mélange sport et élégance. De la même manière qu’Audemars Piguet et de la Royal Oak, c’est une montre haut de gamme en acier. Le coeur faisant vivre ce petit bijou mécanique était aussi basé sur un mouvement Jaeger-LeCoultre, le calibre 28-255 C. Cette montre restera près de 30 ans en production avant d’obtenir un nouveau souffle en 2006 avec le modèle Nautilus 5711/A.

Nautilus 5711/A, Patek Philippe

Les ambitions personnelles de l’iconique designer

Vous comprenez bien qu’il est impossible dans un seul article de mettre en lumière tous les modèles que le designer suisse a réalisé. En plus de son travail pour les plus grandes maisons horlogères, Gérald Genta monta sa société en 1969 puis œuvra pour des clients aux commandes très spéciales. La première d’entre elles fut la Gérald Genta « Octo Granda Tourbillon » avec Bulgari. Cette montre est un véritable bijou qui comprend 4 gongs et reproduit à la perfection la même mélodie que le célèbre monument trônant au centre de Londres : Big Ben. Cette pièce unique était vendue à l’époque pour la modique somme de 815,000 CHF.

Octo Granda Tourbillon, Bulgari

Dans les années 1980, il obtiendra une licence exclusive de la part de Disney pour concevoir des montres reprenant quelques personnages iconiques comme Mickey Mouse, Donald Duck ou Minnie, enfermés dans des boîtiers en or 18 carats puis en acier. En 1999, la marque « Gérald Genta » fut acquise par Bulgari qui fut elle-même acquise par le conglomérat LVMH en 2011, faisant entrer l’ensemble des créations du designer dans le portfolio du groupe.

Donald Duck Baseball Retrograde, Gerald Genta

Le mot de la fin

En août 2011, Gérald Genta mourut à l’âge de 80 ans. Son comportement disruptif aura permis de briser les limites que le marché de la haute horlogerie s’était fixées, pour laisser place à une plus grande fantaisie. La vision et le savoir-faire du designer suisse a permis le développement de plusieurs montres devenues mythiques avec comme fer-de-lance la Royal Oak, la Nautilus, mais aussi la Big Bang de Hublot. Le travail réalisé par Gerald Genta représente la façon dont Andy Warhol voyait les choses : « l’attraction la plus excitante se trouve entre deux opposés qui ne se rencontrent jamais ».