Vous aurez sans doute remarqué que nous suivons de près cette marque. Et pour cause : la petite sœur de Rolex propose des modèles très attachants, extrêmement bien réalisés, et avec un rapport qualité/prix imbattable dans ce segment. Plus que jamais, la marque a le vent en poupe; le moment parfait pour revenir sur l’histoire de Tudor, qui fêtera bientôt son centenaire.

1926 – 1950 : Une genèse prudente

Nous sommes en 1926. En moins de 20 ans, Hans Wilsdorf (voir notre biographie ici) est parvenu à faire de Rolex une marque prestigieuse, reconnue à l’international, et synonyme de luxe et de qualité. Mais en homme d’affaire avisé et visionnaire hors-pair, Hans Wilsdorf sent qu’il y a de la place pour un autre segment : des montres de qualité, mais proposées à un prix abordable. Une sorte d’entrée de gamme du luxe. Cependant, hors de question de faire ça sous le nom de Rolex. Cela reviendrait à galvauder la marque, et celle-ci en souffrirait inévitablement sur le long terme. « Depuis quelques années, j’ai étudié la possibilité de fabriquer une montre que nos concessionnaires puissent vendre à un prix plus bas que nos montres Rolex et qui soit digne de la même confiance traditionnelle. Je décidai donc de fonder une société à part, en vue de fabriquer et de vendre cette nouvelle montre. Cette société se nomme Montres TUDOR SA ». Dont acte.

Le nom « Tudor » fait référence à l’une des dynasties royales anglaises les plus emblématiques : les Tudor. Entre 1485 et 1603, cette famille règne sans partage sur les îles britanniques, faisant de l’Angleterre une puissance européenne de premier plan. Venant de Hans Wilsdorf, ce choix n’est évidemment pas anodin. Et outre le prestige associé à ce nom, on peut y voir un clin d’œil au Royaume-Uni, pays qu’il chérit dans son cœur et dont il reste citoyen.

En Février 1926, Hans Wilsdorf veut donc déposer le nom « Tudor ». Mais l’homme est prudent, et ne souhaite pas que son nom soit associé à ces montres avant qu’elles n’aient fait leurs preuves. Il a donc recours à un petit subterfuge. Il fait déposer le nom de la marque par un négociant et fabriquant de montre de confiance, nommé « Veuve de Philippe Hüther ». Une appellation surprenante, mais qui s’explique par le fait que c’est bien la veuve de feu Philippe Hüther qui avait repris les rênes de l’entreprise. Puis en 1936, Hans Wilsdorf reprend officiellement la tête de Tudor. En 10 ans, la marque a grandi et elle a fait ses preuves. Elle peut revendiquer sa place auprès de Rolex.

La deuxième guerre mondiale est un épisode particulièrement douloureux pour Hans Wilsdorf, et Tudor se fait discrète pendant ces années-là. On peut y voir les conséquences évidentes d’un contexte économique très compliqué. Mais on peut également supposer que la consonance anglaise de la marque et ses références à une dynastie britannique connue mettaient Tudor dans une position un peu délicate vis-à-vis de la Suisse et de sa volonté de neutralité. Au sortir de la guerre, Hans Wilsdorf décide de relancer Tudor. En Mars 1946, il fait évoluer la marque en créant l’entreprise « Montres TUDOR SA ».

Tudor et Rolex, inséparables

Dès les premières années de production, le lien entre Tudor et Rolex est évident. On retrouve évidemment de nombreuses similarités dans le design des pièces. Sur les montres Tudor, les boîtiers et les bracelets viennent directement de chez Rolex. Les cadrans offrent sensiblement la même présentation. On trouve même des cadrans co-signés Tudor et Rolex, extrêmement rares… et donc extrêmement prisés des collectionneurs. Seuls les mouvements des montres Tudor sont fournis par des fabricants tiers, pour des raisons évidentes de coût. Même l’organisation de la collection Tudor est inspirée de celle de Rolex et certains modèles, comme les Submariner, partagent le même nom. Tudor profite également pleinement des innovations de la marque à la couronne : le boîtier étanche Oyster et le mouvement mécanique automatique. Hans Wilsdorf le justifie ainsi : « Ainsi, je décidai que la Tudor Prince méritait de partager avec Rolex deux avantages exclusifs : le fameux boîtier étanche Oyster et le mécanisme à « rotor » Perpetual. Toutes les Tudor Oyster Prince auraient ces caractéristiques auparavant exclusives à Rolex. Ceci, je pense, est la preuve de la confiance que nous avons dans cette nouvelle montre. Je suis fier d’en donner moi-même la garantie ». En outre, Tudor peut s’appuyer sur le réseau de distribution international de Rolex, pour étendre son marché sur les cinq continents. Enfin, ce partage de ressources permet à Tudor de passer par le service après-vente de Rolex pour l’entretien de ses propres pièces.

Ce lien étroit entre les deux marques se traduit également sur le plan commercial. En effet, Hans Wilsdorf va appliquer à Tudor les recettes commerciales qui ont fait le succès de Rolex. Tout d’abord, avec une volonté affichée d’expansion vers l’international. Ensuite, avec des publicités et des communications commerciales innovantes. Par exemple, sur les affiches présentant la Tudor Oyster Prince de 1952, la montre est mise en scène dans les situations les plus périlleuses : course de moto, travaux publics, mines de charbon… pour mettre en valeur de manière concrète sa résistance aux éléments. Pour l’anecdote, on retrouve encore sur ces affiches la mention « sponsored by Rolex », comme un gage de qualité ultime.

1950 – 1990 : un nouvel élan d’innovation

Depuis la création de la marque en 1926, bon nombre des caractéristiques des montres Tudor viennent en fait de la maison-mère Rolex. Mais la marque à la rose sait aussi innover dans des domaines où Rolex ne s’est jamais aventurée. Et l’année 1957 est particulièrement marquante à ce titre. Tout d’abord, Tudor présente l’Advisor, une montre alarme mécanique, à l’instar de la Memovox de Jaeger-LeCoultre, sortie quelques années plus tôt. Le boîtier est d’abord un Oyster modifié, avant d’être remplacé à partir de 1969 par un boitier spécialement conçu pour amplifier le son de l’alarme. La même année, Tudor présente un modèle ultra-fin, un autre domaine laissé de côté par Rolex. La Tudor Oysterthin est dévoilée, et ne mesure que 6mm d’épaisseur. Produite pendant seulement 6 ans, elle est devenue un véritable modèle de collection.

L’année 1960 est endeuillée par le décès de Hans Wilsdorf. Rolex et Tudor perdent leur père fondateur, mais pas leur vision. En effet, l’homme d’affaire avait soigneusement préparé sa succession en créant la « Fondation Hans Wilsdorf », qui accueille les deux marques horlogères à sa mort. Ainsi, la transition se fait en douceur, et Rolex et Tudor gardent les mêmes lignes directrices, selon la volonté de leur créateur.

Les années 70 vont être marquées par l’introduction de Tudor dans la catégorie très particulière des chronographes. En 1970, Tudor dévoile son premier chronographe, baptisé Tudor Oysterdate. Elle est animée par le calibre Valjoux 7734, à remontage manuel et mécanisme à came. Cette référence 7031/0 et sa sœur jumelle 7032/0 sont surnommées Monte Carlo, en raison de leur minuterie orange et noire faisant penser à une roulette de casino. Puis en 1976, Tudor sort son premier chronographe automatique : l’Oysterdate « Big Block », qui doit son sobriquet à son embonpoint, nécessaire pour loger la masse oscillante. Ce modèle est équipé par le fameux calibre 7750 de Valjoux.

1990 – présent : émancipation et popularité croissante

Au milieu des années 90, le moment est venu pour Tudor de voler de ses propres ailes. De prendre ses distances avec Rolex. Au fur et à mesure, les références à Rolex disparaissent. Les boîtiers et les bracelets ne sont plus signés de la marque à la couronne. La dénomination des modèles laisse également la particule « Oyster » de côté.

C’est au début des années 2010 que Tudor connaît un nouveau coup d’accélérateur. La marque étend son catalogue, en alternant les nouveautés modernes et les réinterprétations de modèles historiques, avec sa collection Heritage. La Monte Carlo, les Submariner et même le prototype P01 connaissent leur déclinaison néo-rétro, qui rencontrent un succès commercial retentissant. Le meilleur exemple est bien entendu la Black Bay 58, le best-seller de Tudor depuis sa sortie en 2018, inspirée de la Oyster Prince Submariner réf. 7924 de 1958. La marque développe sa propre image en mettant en valeur son histoire et son patrimoine. Tout cela en proposant toujours un rapport qualité/prix inégalé dans ce segment, comme le souhaitait Hans Wilsdorf à la création de la marque en 1926.

Le passage au mouvement manufacture

L’année 2015 marque un tournant dans l’histoire de Tudor. En effet, la maison horlogère développe son premier mouvement « maison » : le calibre MT5621. Cet événement est notable à deux titres. Tout d’abord, il symbolise une étape de plus dans l’émancipation de Tudor, vis-à-vis de Rolex, mais également vis-à-vis des fabricants de mouvements comme ETA. De plus, Tudor réalise ainsi une sérieuse montée en gamme, en entrant dans le cercle restreint des maisons horlogères capables de produire leur propre mouvement. Le premier modèle à accueillir ce nouveau calibre est la North Flag, que nous vous présentions ici. Progressivement, le MT5621 et ses déclinaisons vont s’étendre à toutes les collections de montres sportives.

Toujours du côté mécanique, il faut noter l’association entre Tudor et Breitling (et non Rolex !) depuis 2017. Un échange de bons procédés, où chacun est gagnant. Tudor équipe sa Black Bay Chronographe du calibre MT5813, qui est dérivé du célèbre calibre B01 de Breitling, et profite ainsi de l’expertise de la marque de Saint-Imier en matière de chronographe. De son côté, Breitling peut compter sur le calibre MT5612 de Tudor (calibre 3 aiguilles avec date instantanée) pour équiper sa SuperOcean Heritage II.

Des collaborations prestigieuses

Tudor met un point d’honneur à éprouver ses montres dans les situations les plus extrêmes et à répondre aux besoins des professionnels les plus exigeants. Fort de cette volonté, Tudor fournit des montres Oyster Prince à la British North Greenland Expedition, une expédition britannique civilo-militaire qui mène des expériences scientifiques au Groenland entre 1952 et 1954. On peut également citer la marine américaine US Navy parmi les « clients » de Tudor, mais la plus célèbre des collaborations est certainement celle avec la Marine Nationale française. En 1956, Tudor équipe le Groupe d’Études et de Recherches Sous-marines (GERS) avec des modèles Submariner réf. 7922 et 7923. Ce groupe dépendant directement de la Marine Nationale, la connexion se fait tout naturellement. S’en suit une longue collaboration, émaillée de nombreux modèles et références. Aujourd’hui, ces montres sont particulièrement prisées des connaisseurs, de par leur héritage prestigieux. La dernière en date est bien entendu la très réussie Pelagos FXD « Marine Nationale », sortie en Décembre 2021 (voir notre article ici).

Histoire et évolution du logo

En presque 100 ans d’histoire, Tudor a connu 4 logos. Le premier logo, que l’on retrouve sur les tout premiers modèles, est le mot « Tudor », avec la barre du T allongée au-dessus des autres lettres. Puis en 1936, lorsque Hans Wilsdorf reprend officiellement les rênes de Tudor, il en profite pour faire évoluer logo. On voit alors apparaître une rose enchâssée sur un bouclier. C’est d’ailleurs le seul logo qui regroupe ces deux éléments, que l’on retrouvera alternativement par la suite. La rose est une référence directe à la dynastie Tudor, qui avait une rose rouge et blanche sur son blason. Cette même rose qui est devenue plus tard l’un des symboles de l’Angleterre : on la retrouve sur les pièces de 20 pence… mais aussi sur le maillot de l’équipe de rugby. En 1946, à l’occasion de la création de l’entreprise « Montres Tudor SA », le logo change une nouvelle fois. Le bouclier disparaît, et seule la rose reste. Enfin, en 1969, apparaît le logo tel que nous le connaissons, avec le bouclier et sans rose (sauf sur certains éléments spécifiques, comme la couronne de la Black Bay 58).

Communication nouvelle génération

À l’instar de Rolex, Breitling ou Omega, Tudor s’est associé à des personnalités pour soutenir sa communication. Une méthode qui a fait ses preuves, depuis Jean-Claude Bivier dans les années 90. Bien entendu, le choix des personnalités est déterminant pour que le message passe le mieux et atteigne la bonne cible. Et à ce jeu-là, Tudor a visé juste. Jugez plutôt : Lady Gaga, David Beckham, l’équipe de rugby néo-zélandaise All Blacks, et Jay Chou (une immense star en Asie). Des identités fortes, des personnalités attachantes sans être lisses, et un esprit de conquête à toute épreuve. Des choix parfaits pour porter leur slogan depuis 2017 « Born To Dare » (né pour oser).

Du giron de Rolex à l’émancipation

Tudor est intimement liée à Rolex, car elle est née du même père fondateur génial : Hans Wilsdorf. Pendant ses 50 premières années, Tudor reste dans le giron de la marque à la couronne, et profite largement de son influence. Mais elle réussit ensuite à s’émanciper, en misant à la fois sur son passé avec des modèles néo-rétro, et sur son avenir avec des innovations, notamment en matière de mouvement. Aujourd’hui, Tudor semble avoir définitivement dépassé le statut de petite sœur de Rolex. La marque développe sa propre identité et trace sa propre route, un peu plus débridée que celle de Rolex. Elle bénéficie également d’un rapport qualité/prix quasi-imbattable dans ce segment, qui contribue largement à son succès, et qui fait partie de l’ADN de la marque. En 2026, Tudor fêtera ses 100 ans. Gageons que d’ici-là, la marque au bouclier et à la rose saura poursuivre sa route vers le succès… toujours sous l’œil attentif de Rolex, bien sûr.

Visiter le site officiel de Tudor.