Relativement répandus jusqu’au début du XXème siècle, les cadrans en émail grand feu sont aujourd’hui devenus très rares, et sont presque toujours affichés à des tarifs prohibitifs. Ils sont désormais synonymes d’exclusivité, et représentent souvent le premier pas vers les arts décoratifs. Penchons-nous sur ce procédé si particulier, à la fois hasardeux et terriblement exigeant, mais dont le résultat est absolument unique.

L’émail grand feu : c’est quoi ?

L’émail est une matière poudreuse composée de plusieurs minéraux : silice, argile et feldspath entre autres. La teinte naturelle oscille entre le blanc et le beige pâle, mais on peut ajouter des oxydes métalliques pour obtenir d’autres couleurs : cobalt pour le bleu, chrome pour le vert, iode pour le rouge, fer pour le gris… L’ensemble est ensuite vitrifié, c’est-à-dire transformé en verre par fusion. Cette opération se déroule dans un four chauffé entre 800 et 1200°C. D’où l’appellation « grand feu », souvent employée en horlogerie. Le résultat est plus ou moins opaque, en fonction de la composition du mélange et des paramètres de vitrification. Plusieurs cycles de cuisson et de polissage sont nécessaires pour obtenir une surface lisse et uniforme. Pour un cadran de montre, l’émail est habituellement fondu sur une plaque de cuivre qui sert de support. Ensuite, les index et les autres inscriptions sont dessinés à l’encre, qui sera ensuite cuit à une température plus basse. Une autre solution, plus simple, plus rapide – et donc moins onéreuse – consiste à tamponner ces écritures. Au final, la production d’un cadran simple demande un dizaine d’heures de travail.

Ce procédé, déjà très complexe, permet d’obtenir de magnifiques cadrans en émail avec une teinte unie. Mais tout ceci n’est que la partie émergée de l’iceberg. Autrement dit, cette vitrification est le point de départ de tout l’art décoratif réalisé avec l’émail. Les techniques sont nombreuses et toutes plus délicates les unes que les autres. Champlevé, émail cloisonné, émail flinqué, plique-à-jour, émail contre-jour… Les artisans d’art tels que Donzé Cadran redoublent d’ingéniosité et de savoir-faire pour proposer des réalisations époustouflantes, de véritables Å“uvres d’art miniatures. Des pièces de collection rarissimes, réalisées à l’unité, qui représentent la quintessence de l’art décoratif horloger.

Un procédé artisanal exigeant

Le travail de l’émail est un procédé extrêmement exigeant. Il demande des années de pratique avant d’être maîtrisé. Le matériau est capricieux et parfois imprévisible. C’est un procédé très long, avec beaucoup de pertes. On estime qu’environ 60% des cadrans produits sont finalement inutilisables. Si bien que malgré l’expertise des artisans, le résultat est toujours incertain. Chaque cuisson peut amener son lot d’aspérités, débris, fissures, bulles, changements de couleur imprévus et autres défauts inacceptables pour une montre. Et quand on pense qu’il faut en moyenne 7 couches d’émail pour obtenir le résultat souhaité, on comprend aisément pourquoi ce procédé est devenu rarissime. Ces contraintes expliquent également pourquoi la production est impossible à industrialiser et que la fabrication de cadrans de montres en émail est entièrement artisanale.

Un charme incomparable

Le travail de l’émail est long, délicat, incertain et onéreux. On pourrait alors se demander quel est l’intérêt, et pourquoi certaines maisons horlogères s’entêtent à produire des cadrans en émail. La réponse tient en un mot : le charme. L’émail grand feu permet d’obtenir un rendu que nul autre matériau ne saurait égaler. Les couleurs sont magnifiques, vives ou pâles, et peuvent adopter les nuances les plus délicates. La texture est inimitable, parfaitement lisse. Les jeux de lumière sont superbes et évoquent un miroir d’eau. Les formes sont douces, fluides, voire organiques. Enfin, à tous ces éléments esthétiques, il faut ajouter que l’émail ne s’altère pas avec le temps. En effet, contrairement aux cadrans traditionnels qui vont de patiner avec les années, un cadran en émail restera le même pendant des décennies.

Une production très limitée

Peu de marques perpétuent la tradition de l’émail grand feu. On retrouve bien entendu les maisons les plus prestigieuses telles que Vacheron Constantin, Breguet, A. Lange & Söhne… Dans tous les cas, les prix sont prohibitifs, en relation avec l’exclusivité des modèles. Cependant, quelques marques arrivent à proposer des cadrans en émail à des tarifs presque abordables. Le premier exemple est bien évidemment Seiko : la marque nipponne dispose à la fois du savoir-faire et de la force commerciale nécessaires pour proposer des modèles à partir de 1,200€. On trouve également une maison écossaise, plus confidentielle : anOrdain. Cette petite manufacture indépendante propose deux collections, avec un large choix de couleurs de cadrans, et des tarifs débutant à 1,400€. Un travail de passionnés qui vaut vraiment le détour jusque dans les Highlands. Notons également le modèle Excellence Émail Grand Feu de la maison suisse Louis Erard, un autre superbe exemple exécuté en édition limitée – mais encore disponible à ce jour – pour 3,900€.

Un charme unique mais exclusif

Les montres avec des cadrans en émail grand feu constituent une infime partie de la production mondiale. Pour autant, elles représentent un aboutissement, une vision artistique et romantique de l’horlogerie. Un Graal, la plupart du temps aussi exclusif qu’inaccessible. Pour la beauté du rêve et le plaisir des yeux.