C’est un entrepreneur que nous avons souvent croisé, en France comme en Suisse, et que nous avons toujours beaucoup apprécié. Terre à terre, humble et tout bonnement sympathique, nous suivons son parcours depuis le lancement de son Kickstarter en 2015. Il était donc temps de vous faire profiter de sa compagnie, de sa vision et de ses projets. Focus sur Erwan Kerneur, cofondateur de la marque Akrone.

Ludovic : En quelques mots, qui est Erwan Kerneur ?

Erwan : Pas simple de se décrire… Je suis un breton pure souche du côté du Morbihan. J’ai pas mal voyagé, et je pense justement que les bretons sont plutôt voyageurs. Je suis parti en Asie, j’ai appris le chinois, je suis parti en Angleterre étudier le business et le management, et quand je suis revenu en France, patatra j’ai trouvé en job dans la grande distribution. J’ai adoré, ça fait partie de moi aussi, je suis un commerçant passionné et ça fait forcément le lien avec l’horlogerie.

Ludovic : Quand as-tu commencé à t’intéresser à l’horlogerie ?

Erwan : Comme une majorité de gens j’imagine, un tout petit peu avant la trentaine. Installé dans ton job avec un peu plus de moyens, tu commences à t’intéresser aux belles choses. Tu veux un peu mieux te saper, de belles chaussures, de belles ceintures, de belles vestes et forcément tu arrives à l’horlogerie à un moment ou à un autre. Et c’était mon cas, donc, il y a une quinzaine d’années (j’ai 38 ans maintenant).

Ludovic : Te souviens-tu de ta première montre ?

Erwan : C’était une Festina. Je sors souvent cette histoire-là comme quoi c’était ma première montre, j’étais trop fier. Je me souviens encore du prix, c’était ma grand-mère qui me l’avait offerte à 150 euros pour mes 20 ans et j’avais l’impression de porter une Patek ! C’était un quartz évidemment, je dois encore l’avoir quelque part d’ailleurs. Festina, c’est dingue de voir qu’on entend plus parler, ils ont jamais rien fait et c’est souvent la première montre que l’on achète parce qu’elles sont très disponibles.

Ludovic : Aujourd’hui, tu suis ta passion. Que faisais-tu avant ?

Erwan : J’étais dans la grande distribution en tant que manager. Je gérais un compte d’exploitation, une équipe et il fallait gérer son commerce. Franchement, j’ai adoré ! La grande distribution est une superbe école dans l’apprentissage de la vente et de la gestion. Puis à un moment, je me suis un peu ennuyé. Comme souvent, il y a des cycles et je suis resté 7 ans chez Auchan en région parisienne.

Ludovic : Pour le coup, comment est né le projet Akrone ?

Erwan : J’ai commencé à m’ennuyer dans le travail et j’en ai parlé à d’autres collègues qui eux aussi s’ennuyaient. Travaillant dans le commerce, j’avais forcément envie d’être mon propre patron, mais je ne trouvais pas le bon produit. J’ai trouvé l’associé qui voulait aussi se lancer et à deux on a cherché. À un moment, je suis suis dit que vu qu’on allait galérer, autant que ce soit avec un produit qui nous plaise. Je voulais vraiment créer un produit que je puisse toucher. Pas faire du service mais quelque chose qui dure et que je pourrai transmettre, voir chez quelqu’un dans quelques années et qui n’aurait pas disparu du jour au lendemain. C’est plus complexe mais tellement plus gratifiant. Donc le projet Akrone est né comme ça. À l’époque ça faisait sens – maintenant il y a beaucoup de marques – mais on s’est dit que c’était faisable. Nous ne connaissions rien à la création d’une marque de montres, même si l’on était assez calé techniquement et on s’est mis à chercher des fournisseurs. On a fait beaucoup d’erreurs et puis au final, on a réussi à trouver les bons fournisseurs puis à se dire, tiens on va tester un premier projet, une première montre, et puis on va voir si ça marche. Si ça ne marche pas, c’est pas grave, on arrêtera, on n’aura pas perdu grand chose. Un peu d’argent certes mais on était prêt à prendre ce risque, donc on est parti de notre job puis on s’est lancé et on a eu la chance de pouvoir le faire rapidement.

Ludovic : Et ce nom, que veut-il dire ?

Erwan : Comme beaucoup de marques, on a cherché pendant au moins 6 mois je pense, car c’est hyper compliqué de trouver un nom qui n’est pas déjà déposé. On voulait quand même quelque chose d’original. En fait, Akrone vient d’Achrone qui veut dire en-dehors du temps, intemporel. Forcément, ça venait de chronos et du temps, donc il y avait un lien qui était vraiment intéressant. C’était aussi lié à la marque parce qu’on ne voulait vraiment avoir ce côté décalé. Décalé dans la proposition qu’on voulait faire, plus détendue et plus collaborative avec les clients. Puis d’offrir une excellente alternative en terme de rapport qualité/prix pour de l’assemblé en France. D’ailleurs, je crois qu’on était les premiers en France à marquer « assemblé en France » et pas « made in France » comme beaucoup d’autres ont pu le faire. Maintenant, pas mal nous ont suivi, mais on était dès le début très transparents à ce niveau-là. Et on a remplacé le « ch » par « k » parce que Jeff s’appelle Kerboul et moi Kerneur; on trouvait que ça avait du sens, que c’était plus facile à prononcer, un peu plus cool aussi.

Ludovic : Le style de vos montres est assez différent de ce que l’on croise habituellement sur le marché. Quelle est votre source d’inspiration ?

Erwan : Un peu tout et rien. Je t’avouerais qu’on a pas eu de stratégie particulière, même si maintenant on est plus cadré, mais on a toujours fait nos modèles en fonction de nos envies. On s’était toujours dit que si ça échouait, au moins on aurait pas de regrets parce qu’on aurait vraiment fait ce dont on avait envie. On a toujours essayé d’avoir une cohérence dans nos modèles, mais on a aussi essayé de ne pas nous bloquer pour faire ce que le marché voulait. On s’est dit, tiens on a envie d’une montre noire en céramique, donc on a fait ça sur notre premier modèle et ensuite on a eu envie d’une plongeuse. Au final, on a un peu suivi le parcours d’un passionné de montres qui commence par un modèle puis qui va se dire, tiens j’ai envie d’une plongeuse maintenant, d’une pilote, d’une montre habillée. On a toujours fait comme ça. Évidemment, on s’inspire d’autres marques aussi, où on va aller voir les accords, les matières, les volumes, et comment nous pourrions repenser voire réinventer un élément de design. On est très attaché au détail. Je pense qu’on est reconnu pour le détail de nos cadrans et de nos montres, parce qu’on va chercher plein de petites références; il y a toujours du sens dans ce qu’on fait. On fait jamais une corne parce que c’est une corne, mais parce qu’elle va représenter une ouïe d’aération d’un hélicoptère par exemple. On essaye beaucoup d’avoir du sens dans ce que l’on fait parce que sinon, ce ne serait pas inspirant.

Ludovic : Vous étiez l’un des premiers Kickstarter horlogers français. Était-ce un passage obligatoire ?

Erwan : Non, mais ça a ouvert beaucoup de portes à beaucoup de monde.  Avant, il y avait un business model où tu étais soit obligé de lever beaucoup de fonds soit d’avoir toi-même beaucoup de fonds. Tout partait d’un dessin, ensuite tu faisais ta production, puis tu essayais de la vendre en réseaux de distribution ou directement sur ton site. Il fallait faire de la com’ et donc tu devais avancer beaucoup d’argent avant même d’avoir vendu une seule montre et sans même savoir si ton projet était viable ! Le financement participatif a inversé cela et a ouvert la possibilité de créer un projet puis de voir si ça fonctionne sans mettre des fonds infinis. Il faut tout de même relativiser, on a quand même mis près de 50,000€ de notre poche au début, donc ce n’est pas rien. Certains arrivent à faire avec encore moins, mais maintenant, tu es un peu obligé d’avoir un designer, un graphiste, quelqu’un qui fasse tes statuts de société, enfin bref, plein de choses qui coûtent de l’argent. Puis il faut se déplacer, voir les fournisseurs donc payer des voyages, etc. Donc ça nous a bien aidé au début et surtout, ça nous a permis d’avoir de la publicité puis d’intéresser les gens car c’était l’un des premiers. Maintenant il y a beaucoup de projets horlogers, et ça fonctionne toujours bien. Il y a une plus grande communauté maintenant, mais en tout cas à l’époque, on pouvait facilement se différencier. Je crois même qu’on avait fait le meilleur démarrage au niveau mondial dans un projet horloger. Depuis, il y en a beaucoup qui nous ont largement dépassé !

Ludovic : Je me souviens d’ailleurs t’avoir rencontré pour la première fois durant ton tour de France afin de présenter la marque aux amateurs de montres. Avez-vous réussi à faire perdurer cette proximité avec vos clients ?

Erwan : On essaye de le refaire de temps en temps. Moins avec le COVID mais ça nous permet de rencontrer nos clients. On a été à Marseille, dans l’Est à Strasbourg, des fois à Rennes, puis à Bordeaux où l’on s’est rencontré. C’est vraiment important de le faire parce qu’on a pas de boutique. Je me souviens aussi durant le premier tour de France qu’on avait même été livré un client pas loin de la frontière de la Suisse pour lui faire une surprise, la nuit, parce que sa femme nous avait dit qu’il voulait absolument rencontrer les fondateurs. On avait passé un super moment et il avait été super content.

Ludovic : Qu’est-ce qui te plaît le plus dans le fait de concevoir tes propres montres ?

Erwan : Il y a un côté égocentrique de se dire qu’on a créé un objet que quelqu’un va porter à l’autre bout du monde, pendant des années, va vivre des choses avec et aura l’objet que tu as créé au poignet. Je trouve ça assez délirant et grisant même, c’est génial parce que c’est vraiment quelque chose qui dure et on est forcément flatté. Mais le plus gratifiant, c’est la création, de trouver des solutions à des problématiques de design ou d’ergonomie, puis d’essayer de ramener ça au meilleur rapport qualité/prix pour proposer un produit que les gens veulent avoir. Surtout avec les projets professionnels qu’on peut avoir maintenant où l’on doit prendre une base, et la contrainte ou le challenge, c’est vraiment de faire des modèles qui soient différents et originaux pour eux, qui ne se ressemblent pas tous, et où l’on va personnaliser énormément de choses en essayant de comprendre leur projet et comment ils travaillent pour qu’il aient vraiment quelque chose d’adapté.

Ludovic : Et si tu devais en choisir une seule, ce serait laquelle ?

Erwan : C’est franchement pas évident. Je me pose toujours la question et ça change tout le temps, srutout dès qu’on en a une nouvelle qui arrive. Dès que je prends un modèle dans ce qu’on appelle le « musée », je me dis que je la kiffe. L’autre jour, c’était une K-03 avec le cadran bleu, la Caïman, je me disais que c’était ma préférée, puis ensuite j’ai remis une K-01, et en voyant la céramique noire avec la petite touche de jaune, j’ai adoré et je me suis dit que c’était ma préférée. Après j’ai reporté une K-04 avec les gravures japonaises de Thomas Brac… Bref, je fais tout le temps le yoyo mais je pense que si je devais en choisir d’une seule, je prendrais la toute première, la K-01. S’il y en a bien une qui a du sens, c’est forcément celle-là. Après, il y a quelques projets professionnels qui sont sympas, pour le GIGN et le Ministère de l’Intérieur dont je suis assez fier.

Ludovic : Peux-tu nous en dire plus sur la fabrication et l’assemblage des montres Akrone ?

Erwan : J’en parlais tout à l’heure, on était les premiers à spécifier « assemblé en France », ça fait une grosse différence quand même, surtout avec tout ce qu’on peut voir. Les pièces sont fabriquées en Asie, certaines des fois comme les verres sont fabriqués chez les allemands ou les suisses aussi. Les mouvements sont suisses ou japonais. On a jamais travaillé avec des mouvements chinois, mais pourquoi pas, il y en a de vraiment très corrects que certains collègues utilisent et qui fonctionnent bien. Mais on est pas encore chaud car il y a des problématiques sur ces mouvements en comparaison avec les mouvements japonais et suisses qui sont vraiment excellents de mon point de vue. On fait pas toujours l’assemblage chez nous, mais toujours en France, car on a des volumes assez importants, surtout pour les projets pro, donc on sous-traite avec des entreprises à Rennes ou à Bordeaux dans des ateliers avec qui on travaille pour l’assemblage, mais il y a toujours une dernière phase de contrôle et de réglage qui est faite chez nous. On a aussi notre propre SAV, notre propre atelier et notre propre horloger, des fois même une équipe d’horlogers quand on a besoin de renforts. C’est quand même important, notamment pour les clients, de savoir où leur montre part et même voir la personne le faire.

Ludovic : En parlant de « made in France », penses-tu que l’on verra un mouvement français voir le jour prochainement ?

Erwan : C’est compliqué de faire un mouvement 100% français, car nombre de pièces ne peuvent plus être produites en France. C’est pas grave, ça reste bien, on peut faire des ponts, des platines, des roues, mais on ne peut pas tout faire. Mais oui, il a de superbes alternatives, des indépendants qui font des choses très intéressantes. Ça dépend où l’on veut mettre le curseur. Je n’ai jamais été un extrémiste du français, dans le sens où ce que l’on privilégie nous, c’est toujours la qualité. Peu importe l’origine, même si on privilégie les français, c’est notre critère numéro un. Donc si c’est français mais de mauvaise qualité, je ne le mettrai pas dans mes montres. Je sais que ça ne se dit pas, mais ce qui est fait en France n’est pas toujours génial. Pour l’instant, j’attends de voir mais ça va dans le bon sens. Ce n’est pas un secret, mais on travaille sur un module externe qu’on fabriquerait en France en théorie, et qu’on viendra greffer sur un mouvement qui sera assemblé en France. On ne veut pas révolutionner l’horlogerie et on n’a pas la prétention de le faire, mais on a fait un petit module sympa qui est une complication qu’on n’a jamais vu, donc ce serait une première mondiale. C’est ça qu’on peut apporter à notre niveau sans être prétentieux et dire qu’on va faire un énième mouvement français. Il y en a d’autres qui savent le faire et qui sont en train de le faire.

Ludovic : La marque semble être de plus en plus implantée dans des projets militaires. Comment en êtes-vous arrivés là ?

Erwan : C’est devenu une grosse part de notre business et c’est en forte croissance. On a pris beaucoup de temps pour développer ça, et sans donner toute notre recette – car il y a beaucoup de concurrents qui nous attendent au tournant – mais c’est surtout du bouche à oreille. Il fallait des contacts pour commencer un premier projet et ensuite ça a fait le tour entre les unités, les gens se parlent. Il y avait besoin d’alternative car il y avait un peu un ventre mou au niveau de ce qui était proposé aux militaires, avec soit du haut de gamme, soit des gammes intermédiaires à 1000 euros qui selon moi ne se justifiaient pas, ça reste très cher pour des montres comme ça, et après du quartz bas de gamme à 100 euros. Et dans notre gamme de prix entre 300 à 600 euros, il y avait de quoi faire. On attaque encore plus fort ce marché là et on vise à devenir le leader sur les projets militaires. C’est vraiment un projet où on met le paquet.

Ludovic : Tu m’as aussi confié que la marque serait partenaire de la 53ème édition de la Solitaire du Figaro. Avez-vous prévu quelque chose de spécial pour ce grand événement ?

Erwan : Effectivement, c’est un super événement, on est vraiment content. Ça nous permet de faire un modèle qu’on avait pas fait, axé yachting et un peu régate. Alors on met un peu ce qu’on veut dans ce terme-là, car évidemment il aurait fallu faire un chrono, mais on n’avait pas la possibilité de le faire puisque le timing était vraiment trop juste. On s’est appuyé sur notre C-02, donc une de nos montres de plongée et on a imaginé un style très orienté yachting avec une fonction très intéressante sur la lunette, donc ce sera sympa.

Ludovic : Selon toi, à quoi ressemblera Akrone dans 5 ans ?

Erwan : C’est très difficile de faire des plans sur la comète. Ce que l’on veut, c’est avoir notre gamme C, soit l’entrée de gamme automatique, bien implantée puis de développer une offre complète là-dessus, qui couvrira beaucoup de besoins tout en s’amusant sur de nouvelles finitions et tout en continuant à développer les projets professionnels, pour les militaires et même les sociétés. On est aussi sous-traitant pour d’autres marques dans le design et la production de leurs modèles, et on aimerait également pousser dans ce sens-là. Et évidemment se placer avec une gamme au-dessus, la collection K, avec des mouvements suisses tout en poussant notre propre module avec notre propre complication pour avoir quelque chose d’encore plus intéressant à proposer.

Ludovic : Aurais-tu des conseils pour ceux qui souhaitent se lancer dans la création d’une marque horlogère ?

Erwan : Oui, il y en a toujours. J’en ai donné pas mal au début, beaucoup nous ont contacté et on a aidé beaucoup de marques. Le seul conseil que je pourrais donner, c’est de ne pas copier les autres et de faire quelque chose de propre tout en étant réaliste. Je vois beaucoup de marques et j’ai quelques exemples en tête, mais il ne faut pas avoir un égo dingue, même s’il en faut un petit peu car il faut réussir à convaincre. Il faut tester et c’est le marché qui jugera. Je vois beaucoup de monde lancer un modèle et c’est assez facile pour être honnête, mais c’est difficile de durer. J’en ai vu beaucoup se planter parce que c’est long et l’horlogerie c’est des galères à tous les niveaux. Il faut vraiment s’accrocher et voir à long terme car je dirais qu’une marque sur deux n’ira pas au bout des 2-3 ans.

Ludovic : Un petit mot pour la fin ?

Erwan : On n’en peut plus du bullshit, surtout en horlogerie. Les marques que je préfère, c’est celles qui sont les plus sincères. Il y en a plein qui sont vraiment hyper intéressantes et qui vont droit au but. Le marché a beaucoup évolué et bouge tellement qu’il y a toujours de nouveaux entrants avec de superbes idées qui challengent tout le monde, même les gros, et c’est top.

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