En 1969, Seiko sortait la première montre à quartz. Un événement charnière dans l’histoire de l’horlogerie puisque depuis cette date, les garde-temps à quartz occupent une place dominante sur le marché. Comment expliquer un tel succès ? Qu’est-ce qui dans le quartz a su séduire au point de balayer en quelques années, plusieurs siècles de tradition horlogère helvétique ? Gros plan sur un moment crucial de l’histoire de l’horlogerie moderne : la crise du quartz.

Le quartz, un véritable tsunami

La dénomination « quartz » est souvent connotée négativement et pour cause, l’avènement des premières montres à quartz a contribué au déclin de nombreuses manufactures qui n’ont pas su réagir suffisamment rapidement au nouveau phénomène. Pour le reste, l’attachement au savoir-faire helvétique et à l’horlogerie mécanique en général ont fait du quartz une curiosité dépourvue d’intérêt auprès des amateurs les plus conservateurs. Pour autant, l’engouement pour cette prouesse technologique fut réel et perdure encore largement de nos jours, comment expliquer un tel intérêt ? Explorons en surface le fonctionnement d’une montre à quartz pour tenter de comprendre ce qui a provoqué ce tsunami dans la sphère horlogère.

Une technologie à la précision inégalée

La première montre à quartz commercialisée fut la Seiko Quartz Astron-35SQ. Très onéreuse à sa sortie en 1969, la nouvelle venue de chez Seiko n’avait pas pour elle l’argument économique que l’on connait aujourd’hui : un prix de vente de 450,000Â¥ (12,500$US), le prix d’une voiture pour l’époque. Il fallait donc la rendre attractive autrement. Pour ce faire, outre un boîtier en or, la firme nippone a mis l’accent sur deux propriétés exclusives au mouvement à quartz : sa précision et sa durabilité. Comment cela fonctionne-t-il ? Une pile, dont la durée de vie atteint plusieurs années, excite le petit cristal de quartz qui se met à vibrer avec une régularité remarquable : plus de 32,000 fois par seconde. Un circuit régule ensuite ces impulsions électriques pour opérer la division du temps et mettre en mouvement les aiguilles de la montre. On estime qu’une montre à quartz perd moins d’une minute tous les ans (contre -4/+6 secondes par jour pour une montre mécanique avec la certification chronomètre). Face à des performances aussi remarquables, le mouvement à quartz ne pouvait avoir que de belles années devant lui. De quoi inquiéter les manufactures pluricentenaires qui, avec tout leur savoir-faire, ne pouvaient espérer atteindre un jour des résultats comparables.

Tempête dans la sphère horlogère helvétique

En 1929 retentit aux États-Unis le krach boursier qui donna lieu à la plus grosse crise économique du XXème siècle. Loin d’être exclusive au continent américain, la « Grande Dépression » aura heurté de plein fouet l’Europe et contribué à mettre dans le tourment de nombreuses entreprises familiales, notamment dans le secteur de l’horlogerie suisse. Cette crise qui aura conduit les fabricants d’ébauches et de pièces d’horlogerie en tout genre à se regrouper en 1931 dans une société holding, l’ASUAG (voir histoire du Swatch Group), pour tenter de faire face à ce chamboulement économique mondial. Quelques décennies plus tard, les mouvements à quartz arrivent sur le marché, provoquant une nouvelle fois une crise majeure dans le secteur horloger suisse, événement que l’on appellera « crise du quartz ». Face à cette concurrence japonaise, les suisses essayent de développer leur mouvement à quartz, le Bêta 21 (en référence au regroupement de 21 sociétés d’horlogerie suisse pour son élaboration).

Mais ce dernier, moins performant que celui développé par Seiko ne parviendra pas à sauver l’horlogerie helvétique qui passera de 50% de parts du marché dans le monde à seulement 5%. Face à ce désastre, la Suisse passera de principal acteur à simple spectateur. Une crise qui entraînera d’importantes conséquences économiques avec la fermeture de nombreuses entreprises horlogères (1,600 en activité sur le territoire suisse à l’époque contre à peine 600 aujourd’hui) ainsi qu’une forte baisse du nombre d’employés dans ce secteur (70,000 en 1960 contre 30,000 en 1980). Il faudra attendre l’arrivée de Nicolas Hayek, un libanais naturalisé suisse, pour redresser le marché de l’horlogerie helvétique en proposant un produit plus adapté à la nouvelle demande; une montre répondant aux exigences imposées par le marché nippon : qualité, rapidité de fabrication et coût réduit de la main d’œuvre. Cette montre, la Swatch, sauvera littéralement l’industrie suisse du naufrage certain qui l’attendait et lui permettra de s’extraire, non sans mal, de la crise du quartz.

La crise du quartz, un mythe ?

Alors que la plupart des historiens s’entendent sur le fait que l’arrivée des montres à quartz sur le marché est responsable de la crise dans laquelle l’industrie horlogère suisse est plongée dans les années 70, certains économistes et historiens ne partagent pas cette théorie. C’est le cas de Pierre-Yves Donzé, chercheur à l’université d’Osaka, qui explique dans un article paru dans le quotidien suisse Le Temps que les entreprises japonaises ne réalisent que lentement le passage vers la montre à quartz. Ainsi précise-t-il : « La révolution du quartz se produit chez Seiko à un moment où la crise est déjà profonde en Suisse ». Il faut donc chercher l’origine de cette crise ailleurs que dans l’avènement des mouvements animés électriquement. Pour Pierre Yves Donzé, la véritable cause réside dans l’absence de réaction de la Suisse face aux changements que rencontrent les systèmes de production des garde-temps mécaniques dans les années 60. L’après-guerre étant marquée par la production massive de montres de qualité en provenance du Japon, l’industrie horlogère suisse n’a pas su s’adapter à cette nouvelle demande. Pour l’historien, là est la véritable cause de la perte de monopole de l’horlogerie helvétique au cours des années 1960 et 1970.

L’après crise et le retour au savoir-faire

Après la crise du quartz, les horlogers suisses se sont recentrés sur l’artisanat et sont parvenus à faire de l’objet, le garde-temps, un produit de luxe mêlant tradition et tendance. Ce positionnement fait du label « Swiss made » un symbole de prestige inaccessible pour beaucoup. Aujourd’hui, l’industrie horlogère suisse ne domine plus en termes de parts de marché, mais elle reste première en termes de valeur marchande.