Dès lors que l’heure fut contenue dans une boîte pouvant se glisser dans une poche, puis plus tard autour du poignet, le besoin de la lire en toutes occasions se fit ressentir. Et notamment dans l’obscurité. C’est par la découverte de matériaux radioactifs, et principalement le radium par Pierre et Marie Curie en 1898 que les premières montrent lumineuses apparaîtront. La plus ancienne trace d’utilisation remonte à 1903, le Dr George F. Kunz qui avait peint les aiguilles de sa montre avec du radium et en breveta le procédé. Officine Panerai lancera la Radiomir, pour les nageurs de combat, en 1910, en mélangeant du radium avec des pigments phosphorescents comme le sulfure de zinc. Petite précision, ce sont les pigments associés au radium qui produisent de la lumières sous l’effet des radiations et pas le radium lui-même.

Le problème de la radioactivité

L’efficacité était là et avec une intensité constante. Mais le radium est très radioactif, beaucoup plus que l’uranium par exemple, de l’ordre du million de fois supérieur et il lui faut plus de 1600 ans pour perdre la moitié de son intensité. Alors, si aujourd’hui le mot radioactivité en lui-même suffit à effrayer, ses effets sont largement connus et tout un tas de normes puis de précautions sanitaires en encadrent l’exploitation. Il en était tout autrement en ces temps de découvertes scientifiques.

Le radium, un réel danger ?

Que les possesseurs de montres au radium se rassurent, elles n’en sont pas dangereuses pour la santé pour autant. La quantité déposée sur les aiguilles et le cadran est très faible, de plus la matière est fixée dans une matrice en polymère pour en assurer la stabilité et sa non dispersion. Le problème se situe au niveau des usines et des travailleurs, ou plutôt des travailleuses, les radiumineuses (ou « radium girls »), qui étaient employées en grande majorité par les manufactures pour peindre les parties lumineuses des montres. Dans les années 1920, les cas de cancers dus à la manipulation de radium éclatent en Suisse mais aussi aux Etats-Unis. Le contact répété sur les mains et dans la bouche (en léchant le pinceau qui servait à déposer la matière) laissera nombre de lésions irréversibles. Des mesures seront prises, certaines pratiques interdites, mais l’interdiction du radium ne sera totale qu’en 1963. Les usines fermées devront aussi être décontaminées, ce qui concerne 83 sites pour environ un millier de bâtiments en Suisse.

Le tritium, c’est pas radioactif aussi ?

Après l’ère du radium, un autre élément radioactif va lui succéder : le tritium. Il a l’avantage de n’être que très faiblement radioactif, ses radiations ne dépassant pas le demi-centimètre dans l’air et peuvent être stoppées avec un simple papier de soie. Il est notamment employé comme traceur dans l’imagerie médicale et est inoffensif pour l’organisme. Bonne nouvelle, serait-ce le produit miracle ? Et bien non car il a un gros inconvénient : sa demi-vie n’est que de 12 ans. Il aura donc perdu la moitié de sa brillance en un peu plus d’une dizaine d’années. Même si en vieillissant, il se patinera souvent de fort belle manière, ce n’est pas suffisant pour des montres prétendant à traverser les décennies.

L’avènement du Super-LumiNova

C’est le partenariat de longue date entre une entreprise japonaise, Nemoto et la société suisse RC Tritec qui permettra à l’industrie horlogère de mettre fin à l’utilisation d’éléments radioactifs dans les montres, à une époque encore sous le choc de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl. Le patron de RC Tritec, Albert Reinhard Zeller, ramènera d’un voyage en Chine une céramique luminescente à base d’aluminate de strontium. Présentée à Nemoto, des recherches mèneront à la création du LumiNova. Le brevet sera déposé en 1994 et une joint-venture issue du japonais et du suisse, LumiNova Switzerland, ouvrira son usine au Portugal. Le LumiNova sera utilisé dans les montres, mais aussi comme signalétique dans des tas de domaines. En 2007, le Super-LumiNova, qui sera produit en Suisse, anticipera l’expiration du brevet initial en 2014. Contrairement à son prédécesseur, il sera réservé aux horlogers. Le succès est tel qu’il se trouve en situation de position quasi-monopole excepté chez Seiko qui a son propre LumiNova amélioré, le Lumibrite, puis Rolex qui a développé son Chromalight.

Comment ça marche ?

Qu’importe si aujourd’hui le produit a largement évolué et si sa composition n’a plus grand chose à voir avec le produit de 1994. Sa dernière évolution, le Grade X1 est 2 fois plus lumineux et dure 2 fois plus longtemps que son ancêtre mais fonctionne sur le même principe et partage les mêmes propriétés. Contrairement aux montres radioactives qui sont lumineuses en permanence, le Super-LumiNova est une sorte d’accumulateur de lumière. Lorsqu’ils sont soumis à la lumière ultra-violette, les électrons des structures cristallines sont excités et montent à des niveaux d’énergie plus élevés. Lorsque la source de lumière est éteinte, les électrons redescendent vers leur état initial. L’énergie emmagasinée est ainsi dissipée sous forme de lumière.

Avantages et inconvénients de ce pigment phosphorescent

Dans les bons points, l’absence de radiations bien sûr, le Super-LumiNova ne se dégrade pas dans le temps, les cycles de chargement/déchargement peuvent se succéder sans en altérer son efficacité. Sa couleur diurne reste aussi constante. La palette des couleurs disponibles est très large, même si certaines couleurs, comme le rouge ou le noir, absorbent une partie de la lumière émise. Quant aux couleurs nocturnes, si nous sommes habitués à voir souvent du vert et plus rare, du bleu, il existe depuis 2017 du violet, du blanc, du jaune, de l’orange, du rose et du bleu outremer. Ces dernières restent peu répandues pour l’instant. Le côté négatif c’est que la luminescence ne dure pas toute la nuit. Si au début, l’intensité est assez forte, elle diminue rapidement jusqu’à ne plus être perceptible après quelques heures d’obscurité totale. Il est très cher, mais seulement quelques kilos produits par an suffisent à fournir le monde entier. En effet, un gramme de Super-LumiNova peut servir à faire entre 100 et 500 cadrans.

Des alternatives au Super-LumiNova ?

Il y a bien la société MB-Microtec qui encapsule du tritium sous forme gazeuse dans de petits tubes. L’efficacité est bien présente, mais le problème de la durée du tritium sera la même que pour les montres peintes avec ce composé, soit une grosse perte de luminosité dans 10-15 ans. De plus le risque de casse interdit son utilisation sur les lunettes. Aussi, RC Tritec a développé le LumiCast, une sorte de moulage en 3 dimensions de Super-LumiNova avec des pigments plus concentrés offrant une plus grande intensité. Nous verrons bien si les maisons horlogères pourront l’intégrer dans leur production, mais pour l’instant, le Super-LumiNova domine de loin son sujet.