Hans Wildorf est le fondateur de Rolex. Mais il est bien plus que ça. Homme d’affaires hors-pair, visionnaire et novateur, il a modelé le paysage horloger pendant presque 40 ans, tout en restant d’une discrétion absolue sur sa vie privée. Portrait de l’un des personnages les plus importants du monde horloger du XXème siècle.

1881-1905 : jeunesse en Allemagne

Hans Eberhard Wilhelm Wilsdorf est né le 22 Mars 1881 à Kulmbach, en Bavière, dans le Sud-Est de l’Allemagne. Sa famille est plutôt aisée, et il est le cadet d’une fratrie de 3 enfants . Malheureusement, il perd rapidement ses parents et devient orphelin à 12 ans. Il est alors placé sous la garde de ses oncles qui l’envoient, avec son frère et sa sœur, dans l’un des internats les plus huppés du pays. Il y excelle en mathématiques et en langues. Ces aptitudes lui permettent rapidement de travailler en Suisse, dans une entreprise d’exportation internationale de perles. Puis, en 1900, il fait ses premiers pas dans le monde horloger : il travaille en Suisse, pour la maison horlogère Cuno Korten. Trois ans plus tard, Hans Wilsdorf part pour l’Angleterre pour y travailler, toujours dans le domaine horloger.

1905 : création de Wilsdorf & Davis

En 1905, avec l’aide financière de son beau-frère, Alfred Davis, Hans Wilsdorf crée sa première compagnie horlogère : Wilsdorf & Davis. Il importe des mouvements fabriqués en Suisse, à Bienne, par la maison Aegler, et les assemble dans ses propres boîtiers. Le succès est vite au rendez-vous et Wilsdorf & Davis exporte ses montres-bracelets dans tout l’Empire Britannique.

1908 : création de Rolex

Hans Wilsdorf veut continuer à développer son activité dans le monde entier, et pour cela il cherche un nom qui « sonne bien dans toutes les langues ». Il dira lui-même : « J’ai essayé de combiner les lettres de l’alphabet de toutes les manières possibles. En sont ressortis quelques centaines de noms, mais aucun d’eux ne me satisfaisait vraiment. Puis, un beau matin, alors que j’étais assis à l’étage d’un omnibus londonien qui remontait la rue Cheapside, encore tiré par des chevaux, un bon génie m’a soufflé à l’oreille « Rolex ». Quelques jours plus tard, je déposais la marque Rolex, puis la faisais enregistrer officiellement en Suisse par Wilsdorf & Davis ». Hans Wilsdorf attendra le bon moment lancer sa nouvelle marque, et Rolex ne verra véritablement le jour que quelques années plus tard, en 1914. Avec en ligne de mire ni plus ni moins que la première place mondiale : « Nous voulons être les premiers, et Rolex doit être uniquement considéré comme le meilleur et le numéro 1 ». Une ambition et une exigence qui resteront gravés dans l’ADN de la marque. Pas étonnant que le logo choisi soit la couronne des rois.

1911 : Un citoyen anglais

Le 13 Avril 1911, Hans Wilsdorf épouse Florence Frances May Crotty, une secrétaire anglaise de 29 ans. Il adopte alors la citoyenneté britannique. Joli pied de nez à l’histoire : alors que sa compagnie, Rolex, est l’un des symboles de la Suisse et la fierté de Genève, Hans Wilsdorf n’est pas suisse. Il est natif allemand, et gardera sa citoyenneté britannique jusqu’à la fin de ses jours.

1914-1918 : Première Guerre mondiale et relocalisation en Suisse

La Première Guerre mondiale éclate en 1914, et place Hans Wilsdorf dans une situation très douloureuse. Il a le cœur tiraillé : son pays d’adoption est en guerre contre sa terre natale. D’autant plus que son frère Karl se bat au sein de l’armée allemande. Mais le sentiment anti-germanique montant et les taxes douanières exorbitantes instaurées par le gouvernement britannique pour soutenir l’effort de guerre pousseront Hans Wilsdorf à définitivement relocaliser le siège social de Rolex de Londres vers Bienne en 1915, puis vers Genève en 1919.

1939-1945 : Seconde Guerre mondiale et coup de maître

La seconde guerre mondiale est une nouvelle épreuve pour Hans Wilsdorf. Depuis Genève, il assiste au déchirement de l’Europe et au conflit entre son Allemagne natale et le pays dont il est citoyen, la Grande Bretagne. Mais son cœur penche en faveur du camp allié. Il soutient d’abord, de manière assez discrète, l’église anglicane, dont il est un pratiquant régulier. Mais c’est en 1943, alors que le cours de la guerre est en train de s’inverser, que Hans Wilsdorf réalise un coup de maître. Alors que tous les horlogers suisses peinent à vendre leurs montres dans un contexte si particulier, Hans Wilsdorf trouvent des clients là où personne ne l’avait imaginé : dans les camps de prisonniers. En effet, il tient en haute estime les officiers anglais, et passe un marché inédit avec eux. Il leur propose des montres Rolex, qu’il envoie lui-même jusque dans les camps de prisonniers, avec une facture à régler plus tard, après la guerre. Il insiste d’ailleurs fortement sur ce point : « Ne songez même pas à régler cette facture pendant la guerre », écrit-il sur les bons de livraison. Non seulement cela remonte le moral des troupes, mais on raconte même que ces montres auraient aidé les prisonniers à s’évader, en leur permettant de se synchroniser.

1944 : la Fondation Hans Wilsdorf

À la mort de son épouse Florence, en 1944, Hans Wilsdorf se retrouve veuf et sans enfant. Il décide alors de léguer toutes ses actions à sa fondation : la Fondation Hans Wilsdorf, qui détient encore à ce jour les compagnies Rolex et Tudor, entre autres. Ce procédé a trois objectifs. Le premier est de protéger Rolex de toute introduction en bourse, ou de toute vente. Le deuxième est de perpétuer la discrétion et le goût du silence, si chers à Hans Wilsdorf, grâce à ce statut si particulier. Enfin, le troisième objectif est de mener à bien des actions caritatives, là encore à l’abri des regards. Par exemple, tous les mercredis, un employé de Rolex vient remonter l’horloge de l’église anglaise de Genève, à titre gratuit, et en assure l’entretien, sans que l’église elle-même en soit formellement informée.

Certification par un organisme indépendant

Dès le début de sa carrière dans le monde horloger, Hans Wilsdorf comprend l’intérêt d’une certification par un organisme indépendant. C’est un gage de qualité et de précision indéniable pour toute montre haut de gamme, comme se revendique Rolex. Mais pas seulement : Hans Wilsdorf s’en sert comme d’un argument commercial et met ces certifications en avant dans sa stratégie marketing. Ainsi, en 1910, alors que Rolex n’est encore que « Wilsdorf & Davis », les montres de Hans Wilsdorf obtiennent le premier certificat suisse officiel pour une montre bracelet. Puis en 1914, elles décrochent le certificat de précision de classe A de l’Observatoire de Kew, jusqu’alors réservé aux chronomètres de marine, la référence de l’époque. On comprend alors pourquoi Rolex est si attaché à la certification COSC que l’on retrouve sur la quasi-totalité de ses modèles – sans compter sa propre certification Chronomètre Superlatif.

Un génie du marketing

À bien des égards, Hans Wilsdorf est un véritable précurseur en terme de marketing. Très tôt, il va utiliser des personnalités fortes pour promouvoir ses produits. Il comprend que ces hommes et ces femmes d’exception, à travers leurs exploits, leurs prouesses et leur rayonnement, mettent en valeur ses montres. Aux yeux du grand public, ils incarnent les valeurs de Rolex. Hans Wilsdorf utilise ce procédé pour la première fois en 1927. Cette année-là, il attache une Rolex Datejust au cou de Mercedes Gleitze, la première femme à traverser la Manche à la nage. Il se paie même la une du Daily Mail du lendemain, pour célébrer comme il se doit l’exploit de la nageuse, et de sa Rolex, revenue intacte de son immersion prolongée. Mercedes Gleitze n’est que la première d’une longue et prestigieuse liste de personnalités : présidents, sportifs, acteurs… Tous mettront en avant, volontairement ou non, leur Rolex.

Et Hans Wilsdorf ne se fera pas prier pour utiliser cette image à son avantage. Ce sens de la mise en scène se retrouve jusque dans les vitrines des boutiques Rolex. En effet, en 1926, pour promouvoir ses modèles étanches, Hans Wilsdorf fait livrer de véritables aquariums à ses revendeurs, pour qu’ils y placent leurs Rolex Oyster.  Cette idée, insolite pour l’époque, fait sensation et popularise les modèles étanches de la marque, grâce à ce visuel très fort. L’utilisation de personnalités fortes et le sens de la mise en scène ne sont que deux des nombreux aspects qui font de Hans Wilsdorf un génie du marketing. Il a employé avant tout le monde des techniques qui sont aujourd’hui monnaie courante, mais qui lui ont permis de promouvoir sa marque par des moyens jusque-là inédits.

Un visionnaire qui ne se trompe pas

Hans Wilsdorf n’est pas un horloger au sens strict du terme. Il n’a jamais étudié l’horlogerie dans une école. Et pourtant, il a su mieux que quiconque où allait le marché, et comment le satisfaire. Dès 1914, l’année du lancement définitif de Rolex, Hans Wilsdorf écrit, en français dans le texte : « Mon opinion particulier est que les montres de poche cesseront presque complètement et que les montres-bracelets prendront leur place absolument ! Je ne me trompe pas sur ce point de vue, et vous verrez que j’ai raison ». Il l’avenir lui a effectivement donné raison. Il anticipe également l’avènement des montres étanches, plus solides et fiables que les modèles sensibles à l’eau ou à la poussière. Vingt ans plus tard, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, il développe ce qui deviendra les fameuses «tool-watch » : une gamme de montres-outils destinées à des professionnels. Explorer, Submariner, Millgauss, Daytona… Personne ne sera oublié et chaque profession pourra revendiquer « sa » Rolex.

À la même époque, il comprend l’intérêt de créer une autre marque, destinée à produire des montres plus abordables, et donc moins chères, sans pour autant galvauder le nom de Rolex. C’est ainsi qu’en 1946, Tudor voit le jour, avec pour mission de « créer une montre que [nos] représentants pourraient vendre à un prix plus abordable que [nos] modèles Rolex, mais qui offrirait la fiabilité qui fait la réputation de Rolex ». Cette capacité à anticipation le marché et à lui donner les montres qu’il attend a permis à Rolex d’atteindre les sommets, en ayant toujours un coup d’avance sur ses concurrents. Et même si aujourd’hui le côté « visionnaire » de Rolex est bien moins évident, il faut reconnaître que la marque dicte elle-même ses lois au marché, sans guère se soucier de ce que ses clients ou concurrents peuvent en penser.

Populariser des concepts déjà existants

À proprement parler, Rolex n’a ni inventé la montre-bracelet, ni la montre étanche, ni la montre automatique. Tous ces concepts existaient déjà. Mais ils étaient mal exploités : problèmes de production, de fiabilité, de mise au point, de design… La force de Hans Wilsdorf est d’avoir su se réapproprier ces idées pour les populariser et les transformer en montres commercialement viables. Tout en laissant croire que ces formidables innovations venaient de lui.

Le culte du secret

Hans Wilsdorf a toujours cultivé le goût du secret. Il n’y a par exemple que très peu de photographies de lui. Et le seul livre écrit de sa main est le volume 1 du « Vade Mecum », un manuel destiné aux cadres et revendeurs de Rolex, où il explose sa vision pour la marque. Il reste également d’une discrétion absolue quant à sa vie privée, à tel point qu’il est difficile de trouver la date exacte de son second mariage, avec Bertha Mettler. On ignore également ce qu’il est advenu de Alfred Davis, le cofondateur de Wilsdorf & Davis. En 1959, il accorde sa première et unique interview télévisée. Il meurt un an plus tard, le 6 Juillet 1960, à Genève, sans avoir eu d’enfants. Ce goût pour la discrétion, qui s’apparente presque à un culte du secret, fait pleinement partie de l’ADN de Rolex. Et à travers sa fondation, Hans Wilsdorf a su donner les moyens à Rolex de perpétuer cette tradition, si chère à ses yeux.

Une empreinte indélébile

La vie de Hans Wildorf se confond avec celle de Rolex. Par ses qualités d’homme d’affaires, visionnaire, novateur et exigent, il a façonné une marque à son image. Il a transmis à Rolex – et à Tudor – son goût pour le secret, et cette volonté de guider le marché, plutôt que de le suivre. Son empreinte sur le monde horloger du XXème siècle est tout simplement colossale, et sans lui, les montres d’aujourd’hui ne ressembleraient certainement pas à ce qu’elles sont.

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