Si vous êtes amateurs de montres, vous avez sûrement déjà entendu l’expression « Sainte Trinité horlogère« . Aucune connotation religieuse ici -quoique-. La Sainte Trinité désigne tout simplement les trois maisons horlogères les plus prestigieuses : Patek Philippe, Audemars Piguet, et Vacheron Constantin. Prestige, histoire et modèles iconiques … Voyons un peu plus en détails ce qu’est la Sainte Trinité.
Que faut-il pour faire partie de la Sainte Trinité ?
L’expression « Sainte Trinité » est apparue dans les années 70. Mais que faut-il vraiment pour prétendre à un tel statut ? La réponse est à la fois simple et terriblement complexe : il faut tout. En premier lieu, faut bien évidemment produire des montres exceptionnelles, véritables objets de luxe à la qualité de fabrication absolument irréprochable, tout en étant poussé par une quête perpétuelle de perfection sans compromis. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi pouvoir prétendre à un héritage, à une véritable histoire. Innovations marquantes, modèles iconiques, clients prestigieux … Enfin, il faut maîtriser toutes les techniques horlogères. Les complications les plus complexes (calendrier perpétuel, répétition minute, chronographes à rattrapante, tourbillon …), ainsi que les matériaux les plus pointus (platine, céramique …). En un mot, il faut tout.
Vacheron Constantin, l’aînée
Commençons par la plus ancienne des trois maisons : Vacheron Constantin. Créée en 1755 par Jean-Marc Vacheron, la maison de Genève peut même se targuer d’être la plus ancienne manufacture horlogère du monde. Pendant tout le XIXème siècle, Vacheron Constantin participe au développement et à la diffusion de l’horlogerie suisse à travers le monde. La maison est également à l’origine de l’homogénéisation des mouvements horlogers, grâce à la mise en place des calibres, dont les dimensions sont désormais exprimées en lignes. La devise de Vacheron Constantin date de 1819 : « Faire mieux si possible, ce qui est toujours possible« . Ce qui traduit parfaitement la quête de l’excellence qui anime la maison. Le logo de la marque est quant à lui apparu en 1880. Il est reconnaissable dès le premier coup d’œil : une croix de Malte, inspirée d’un composant du barillet. En 1887, Vacheron Constantin reçoit la médaille d’or lors de l’Exposition Nationale Suisse de Genève, ce qui vient couronner le travail exceptionnel de l’entreprise. Vacheron Constantin détient également le record de la montre la plus compliquée au monde. En 2015, à l’occasion du 260ème anniversaire de la Maison, Vacheron Constantin dévoile la référence 57260. Un chef d’œuvre horloger, qui nécessita le travail acharné de 3 maîtres horlogers pendant 8 ans, et qui regroupe 57 complications. Aujourd’hui, Vacheron Constantin possède sans doute le catalogue le plus vaste des trois maisons de la Sainte Trinité. Pièces modernes et sportives, modèles élégants et habillés, rééditions de pièces historiques, chefs d’œuvre de « métiers d’art », montres aux formes audacieuses, joaillerie… Mais le fer de lance de lance de Vacheron Constantin reste la collection Overseas : des modèles sport-chic qui dérivent de l’iconique référence 222 sortie en 1977, et dont le succès commercial ne cesse de grandir.
Patek Philippe, la prestigieuse
Des trois maisons, Patek Philippe est sans doute celle qui culmine en termes de prestige. Pour beaucoup de collectionneurs, elle représente même un Graal. Patek Philippe est fondée en 1839 par Antoine Norbert de Patek et François Czapek, qui cèdera sa place quelques années plus tard à Jean-Adrien Philippe. En 1932, la marque est reprise par la famille Stern, qui est toujours à sa tête aujourd’hui. À ses débuts, Patek Philippe bâtit sa réputation sur ses montres de poche, et notamment sur l’invention d’un système de remontage sans clef – l’ancêtre du remontage par la couronne -. Par la suite, la maison de Genève continue d’innover, et compte plus de 70 brevets à son actif. Depuis 2009, Patek Philippe appose son propre poinçon sur ses montres, symbole d’une exigence exceptionnelle, mais aussi d’une capacité à produire – et donc de contrôler – tous les éléments d’une montre. Aujourd’hui, Patek Philippe entame un virage commercial, en voulant se détacher de la fameuse Nautilus, pour ne pas que l’iconique modèle sport-chic phagocyte le catalogue de la marque, à l’image de la Royal Oak chez Audemars Piguet. Ainsi, Patek Philippe préserve son image en arrêtant ses références les moins nobles et en se concentrant sur les modèles les plus prestigieux. Tout en affirmant clairement sa différence avec les maisons de montres de sport qui montent en gamme, comme Rolex.
Audemars Piguet, la rescapée
Audemars Piguet est la plus jeune des trois maisons, avec une création en 1875. Elle est née de la collaboration entre Jules-Louis Audemars et Edward-August Piguet. Le premier s’occupe de la fabrication des montres à proprement parler, tandis que le second se focalise rapidement sur le développement commercial de la marque. Pendant près d’un siècle, la maison du Brassus bâtit sa réputation sur des pièces complexes, innovantes, et techniquement très avancées. Mais au début des années 70, Audemars Piguet est très durement touchée par la crise du quartz. À tel point qu’elle ne doit son salut qu’à un modèle : la mythique Royal Oak, dessinée par le génial Gerald Genta. Une montre providentielle, qui va marquer un tournant dans l’histoire d’Audemars Piguet. Pendant 50 ans, la marque va décliner ce modèle sous toutes ses formes : matériaux de pointe et complications toujours plus spectaculaires. À tel point qu’aujourd’hui la Royal Oak occupe la quasi totalité du catalogue d’Audemars Piguet, ce qui est certainement dommage, au regard de l’incroyable héritage de la marque. Enfin, Audemars Piguet est la seule maison de la Sainte Trinité à être toujours détenue par ses deux familles fondatrices, ce qui lui assure une véritable indépendance financière et en termes de créativité.
Et les autres maisons ?
La classification des ces trois maisons en « Sainte Trinité » peut paraître arbitraire. Et l’on pourrait même penser à de nombreuses maisons qui pourraient entrer dans ce club très fermé. Mais le fait que l’expression elle-même date des années 70 peut expliquer certaines « absences« . A.Lange & Söhne ? La maison allemande ne s’est véritablement développée que dans les années 90, suite à la réunification du pays. Jaeger-LeCoultre ? Pendant longtemps, la Grande Maison était surtout connue pour la fabrication d’excellents mouvement pour d’autres marques, plutôt que pour la production de montres sous son propre nom. Blancpain ? La maison de la Vallée du Joux était commercialement morte dans les années 70 et n’a été relancée par Jean-Claude Biver qu’en 1982. Breguet ? La maison à l’origine du tourbillon traversait également une passe très difficile. Et Rolex ? La marque à la couronne n’a jamais été adepte des grandes complications. Elle s’est toujours concentrée sur ce qu’elle sait faire de mieux : des montres de sport simples, robustes et d’excellente facture. Pourquoi pas Grand Seiko ? Le fleuron de l’horlogerie japonaise manquait cruellement de notoriété dans les années 70. Finalement, il faut tout de même reconnaître que l’expression « Sainte Trinité » possède une certaine forme de subjectivité. Et l’on peut se poser la question : si l’on devait établir la Sainte Trinité horlogère aujourd’hui, quelles marques pourraient y prétendre ?