Aujourd’hui, nous remontons le temps de quelques décennies pour vous présenter non pas une montre, mais bien douze ! Les fameuses Dirty Dozen, précurseurs de toutes les « field watches » actuelles, commandées par l’armée britannique pour la Seconde Guerre Mondiale.

Nées pendant la seconde guerre mondiale

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, le Ministère Britannique de la Défense (MoD) voulut équiper ses soldats de montres spécialement adaptées à leurs besoins. En effet, les modèles grand public, beaucoup trop fragiles, ne faisaient pas l’affaire. Pour optimiser la production, et pour ne pas dépendre d’une seule manufacture, le MoD lança un appel d’offre à toutes les maisons horlogères suisses capables de produire une montre qui se conformerait à leur cahier des charges exigeant. Le choix de s’adresser aux suisses peut surprendre, mais il faut se rendre compte que le MoD n’avait pas réellement le choix. L’industrie horlogère britannique, déjà mal en point avant la guerre, s’était ensuite tournée vers la production d’instrument de mesure pour l’aviation et la marine des armées britanniques. De plus, la Suisse possédait des horlogers déjà très réputés, et était protégée par son statut de pays neutre. Le pragmatisme anglais fit le reste…

Les spécifications des montres étaient très strictes et finalement douze manufactures suisses furent retenues : Buren, Cyma, Eterna, Grana, Jaeger-LeCoultre, Lemania, Longines, IWC, Omega, Record, Timor et Vertex. Ces montres furent désignées comme WWW : Waterproof Wristlet Watch (montre au poignet étanche). Mais elles furent affectueusement surnommées « Dirty Dozen », ou « douzaine poussiéreuse », en référence aux nombreux champs de batailles qu’elles arpentèrent. Elles étaient fournies sur un bracelet en cuir de cochon ou sur un bracelet tissu. Pas de NATO à l’époque (qui pourtant leur vont si bien), ceux-ci n’apparaîtront que dans les années 70 !

Un cahier des charges très précis

Le MoD exigea que les montres remplissent un cahier des charges très spécifique. Elles devaient être étanches, lisibles même dans l’obscurité grâce à l’emploi de matière luminescente, et bien entendu robustes. Les mouvements, à remontage manuel, devaient être régulés selon les standards chronométriques (voir notre article sur le COSC). Le cadran devait être noir, avec douze chiffres arabes, et la petite seconde placée à 6h, pour garantir une lisibilité maximale. Le logo « broad arrow », qui signifie que l’objet appartient à la couronne d’Angleterre, devait aussi y figurer. Le fond de boîte devait être gravé de l’inscription WWW et du même logo « broad arrow ». Les montres possédaient deux numéros de série : un pour le fabricant, et un pour l’armée.

Enicar : la mystérieuse 13ème manufacture

Certains dossiers ont gardé la trace d’une 13ème manufacture suisse : Enicar. Cette maison horlogère avait même reçu son numéro de série militaire. Mais bizarrement aucune montre Enicar ne fut officiellement estampillée WWW. Difficile de savoir vraiment pourquoi, car les dossiers de l’époque ne sont pas aussi précis que l’on aurait souhaité. Mais l’hypothèse la plus probable est que le MoD se soit rendu compte qu’Enicar fournissait également des montres au camp ennemi, ce qui mit fin immédiatement au contrat.

Une carrière de plus de 40 ans !

Livrées en 1945, les montres WWW ne vont jamais connaître la guerre pour laquelle elles ont été conçues. Mais leur carrière ne s’est pas arrêtée là pour autant ! Elles vont équiper les poignets des soldats britanniques et de certains de leurs alliés aux cours de nombreux conflits : Indochine, Indes néerlandaises, Palestine, Malaisie, Corée… Elles seront remisées définitivement au début des années 90, lorsque le MoD vendra la fin des stocks restants.

La collection complète : le Graal des collectionneurs

Ces Dirty Dozen ont évidemment toutes un air de famille. Une sorte de grande fratrie, où chaque membre a sa petite particularité, qui ravira l’amateur éclairé. Constituer la collection complète est une véritable gageure, voire un Graal pour certains collectionneurs. Il est relativement facile de s’en procurer quelques-unes, mais réunir les 12 requièrent du temps, de la patience, de l’obstination…et de l’argent. La faute à une carrière forcément houleuse, à une maintenance souvent peu scrupuleuse, mais aussi à une production très disparate d’une marque à l’autre. Par exemple, Omega produisit près de 25,000 exemplaires, alors que Grana en sortit moins de 1,500 selon certaines sources. Ce qui en fait évidemment le modèle le plus rare, et donc le plus désirable de la collection.

Héritage, charme et fiabilité

Sur les 145,000 montres fabriquées à l’époque, difficile de dire combien ont survécu. Mais si l’envie vous prend d’en acquérir une, sachez que les tarifs sont assez variables d’un modèle à l’autre, en fonction de sa rareté et de son état (allant des plus cabossées aux « safe queens » jamais mobilisées). Mais dans tous les cas, il s’agit de montres avec un héritage historique très fort, un charme authentique indéniable, et une fiabilité exemplaire, pour peu que l’entretien ait été fait correctement. Et qui sait, peut-être parviendrez-vous à réunir les douze ?