Si l’on vous parle de montre de président, vous penserez certainement à la Rolex Day-Date, qui a équipé les poignets des présidents américains dans les années 60-70. Cependant, il existe une autre montre plébiscitée par les présidents d’outre-Atlantique, et tout aussi légitime : la Vulcain Cricket. Retour sur l’autre montre des présidents, qui, accessoirement, est aussi la première montre-réveil au monde.

Un bref retour sur l’histoire de Vulcain

La manufacture Vulcain est créée en 1858 par les frères Ditisheim, à la Chaux-de-Fonds, en Suisse. Le succès est rapide, et la maison est même récompensée en 1889 par une médaille de bronze à l’Exposition Universelle de Paris, pour un modèle “sonore” (déjà) regroupant une grande et petite sonnerie astronomique, une répétition minutes et un calendrier perpétuel. En 1929, Vulcain remporte également le Grand Prix d’Horlogerie à l’Exposition Universelle de Barcelone. Puis, à partir des années 40, Vulcain – sous l’impulsion de Robert Ditisheim – se concentre sur un nouveau projet : la conception d’une montre “alarme”, c’est-à-dire qui sonne comme un réveil à l’heure souhaitée. L’idée n’est pas tout à fait nouvelle, mais jusqu’ici aucun fabricant de montres n’avait réussi à concevoir un système satisfaisant et fiable, d’autant plus dans une montre-bracelet.

Le calibre 120

En 1942, Vulcain met au point un premier prototype de montre-alarme. Il est équipé d’un nouveau mouvement à remontage manuel, baptisé calibre 120. Celui-ci permet, quand il est entièrement remonté, de sonner pendant presque 25 secondes. Pour cela, le calibre 120 utilise deux barillets séparés : le premier sert pour l’affichage de l’heure, tandis que le second fournit l’énergie nécessaire à la sonnerie. Ainsi, la fonction alarme ne se fait pas au détriment de la fonction de tenue de l’heure. Par ailleurs, ce calibre s’articule autour de 17 rubis, oscille à 18’000 alternances par heure, et délivre 42 heures de réserve de marche. Ce calibre sert ensuite de base pour la suite des travaux, toujours dans l’optique de concevoir une montre-alarme.

Cinq années de mise au point pour la sonnerie

En partant du calibre 120, Vulcain travaille ensuite pendant cinq ans sur la sonnerie elle-même. Avec l’aide du physicien français Paul Langevin, la maison suisse relève l’un des plus grands défis : faire en sorte que la sonnerie soit assez forte. Idéalement, le but est que la montre puisse réveiller son propriétaire ! Pour cela, Vulcain utilise un petit marteau qui frappe une membrane interne, qui résonne sous l’impact. Et pour augmenter le volume sonore, la Cricket possède un double fond de boîte perforé qui agit comme une chambre d’écho. Le son produit est aigu et strident, proche de celui du criquet, d’où le nom déposé en anglais de “cricket”.

1947 : la Cricket est présentée au public

Vulcain s’applique à dûment breveter son nouveau système et dévoile dans la foulée la Cricket au grand public en 1947, soit 3 ans avant la fameuse Memovox de Jaeger-LeCoultre, qui reprend le même type de fonction. Et la Cricket fait sensation ! Elle gagne même le concours international de chronométrie en 1950 à l’Observatoire de Neuchâtel.

Le calibre 401

À partir de 1958, Vulcain équipe sa Cricket d’un nouveau mouvement à remontage manuel, le calibre 401. Pour répondre à la demande d’avoir une montre plus élaborée, le calibre 401 permet à la Cricket d’afficher la date, et une petite seconde à 6 heures. Mais cela se fait au détriment de la durée de la sonnerie, qui passe à environ 15 secondes. En effet, le calibre 401 ne dispose que d’un seul barillet pour alimenter les fonctions heure et réveil, contrairement au calibre 120 qui en possède deux.

La montre des présidents

La relation entre les présidents américains et la Cricket se fait un peu par hasard. En 1953, l’association des photographes de presse de la Maison Blanche offre une Cricket en or au président Harry Truman, la veille de son départ. La montre est gravée au dos : “one more please”, en référence aux nombreuses fois où les photographes ont dû crier cette phrase au président lors de séances photo. Il n’en fallait pas plus pour que Vulcain fasse des présidents américains ses meilleurs ambassadeurs pour sa montre-alarme. Après Truman, elle est portée par Eisenhower, Nixon et Johnson, ce qui lui vaut d’être surnommée “la montre des présidents”. Pour la petite histoire, il paraît même que le président Johnson s’amusait à régler sa montre Cricket pour qu’elle sonne en pleine réunion, et qu’elle lui donne une excuse pour partir. On raconte aussi que la montre, à cause de son bourdonnement caractéristique lorsqu’elle sonne, était souvent confondue avec une bombe, mettant les nerfs des services de sécurité à rude épreuve.

Puis dans les années 80, alors que Vulcain est au point mort à cause de la crise du quartz, la Cricket va continuer d’exister, contre toute attente. C’est ce que l’on pourrait appeler le “miracle finlandais”. En effet, un revendeur finlandais, du nom de Keijo Paajanen, convainc Michael Ditisheim, le fils de Robert Ditisheim, de renouer avec la tradition des présidents américains. Ainsi, en 1988, Keijo Paajanen offre une Cricket à Ronald Reagan lors de sa visite en Finlande. Suivent George Bush Sr en 1990, puis Gerald Ford en 1995, et Clinton et Carter en 1997, lors de différentes visites. Obama reçoit la sienne en 2009 après son investiture et il se dit que Trump en a une aussi. Finalement, seuls George Bush Jr et John Fitzgerald Kennedy n’ont pas eu de Vulcain Cricket.

Une montre aussi taillée pour l’aventure

Dans les années 50, toutes les grandes manufactures horlogères accompagnent des expéditions aux quatre coins du monde. Ces succès ajoutent au prestige des marques et assurent une excellente publicité. Et bien entendu Vulcain ne fait pas exception. Ainsi, le 31 Juillet 1954, deux alpinistes italiens, Achille Compagnoni et Lino Lacedelli, entrent dans l’histoire en gravissant pour la première fois le K2 (8611 mètres), le deuxième plus haut sommet du monde. À leur poignet, une Vulcain Cricket, qui prouve à l’occasion qu’elle est bien plus qu’une montre destinée à la vie citadine ou au bureau ovale. Les intéressés diront même que les montres emportées jusqu’au sommet ont servi “fidèlement leur propriétaire en leur donnant l’heure exacte et en sonnant au moment voulu”. Et ce, malgré le traitement de choc qu’elles subissent lors de l’ascension. Une véritable prouesse, commémorée en 2005 par une édition limitée à 50 exemplaires, qui arborent la silhouette du K2 en émail cloisonné.

Les autres Cricket : la Nautical et la Golden Voice

Au début des années 60, devant le succès de la Cricket, Vulcain décide de décliner son nouveau best-seller. Ainsi, en 1961, une version maritime est dévoilée. Nommée “Cricket Nautical”, elle mesure 42mm de diamètre et propose une étanchéité de 300 mètres. Son cadran présente une table de décompression, un peu à la manière d’une Mido Ocean Star Decompression Timer, sortie la même année. Mais surtout, la Cricket Nautical est capable de sonner sous l’eau ! Une fonction très appréciée des plongeurs, qui peuvent alors l’utiliser, par exemple, comme un signal de remontée à la surface. Pour la petite histoire, s’il est vrai que la Cricket a devancé la Memovox de 3 ans, la Cricket Nautical est en revanche précédée de la Memovox Deep Sea, qui sort en 1959.

Puis en 1964, une version féminine de la Cricket voit le jour. Surnommée “Golden Voice”, elle adopte un diamètre plus petit, tout en conservant la sonnerie qui a fait son succès.

Renaissance(s) de la Cricket

En 2001, Vulcain est rachetée par un nouvel entrepreneur, Bernard Fleury, qui décide de relancer la marque, après une (très) longue période d’inactivité. En 2009, Vulcain dévoile un nouveau mouvement pour la Cricket : le calibre V-21. Et pour la première fois dans une Cricket, il s’agit d’un mouvement automatique. Ce calibre V-21 est un petit concentré de technologie, et se compose de 257 pièces, soit 100 de plus que son prédécesseur. En plus de la fonction sonnerie, il embarque notamment une technologie brevetée baptisée Exactomatic, qui égalise les frottements de l’axe du balancier en modifiant les contres pivots des Incablocs.

Puis en décembre 2009, Vulcain passe aux mains d’un groupe luxembourgeois. L’activité vivote péniblement et Vulcain reste en retrait de la scène horlogère européenne. Il faut alors attendre 2021 pour que la marque, avec l’appui de l’entrepreneur français Guillaume Laidet, déjà à l’origine du renouveau de Nivada Grenchen en 2020, fasse de nouveau parler d’elle. La Cricket est bien évidemment le premier modèle à être relancé. En 2021, deux nouvelles versions sont dévoilées : la Classic et la Tradition. Elles sont animées par le nouveau calibre manufacture V-10, à remontage manuel, qui renoue avec le système à double barillet, comme l’emblématique calibre 120. Puis, en 2023, c’est au tour de la Cricket Nautical de connaître une seconde jeunesse. Des rééditions très fidèles à l’esprit de la Cricket, et qui perpétuent l’histoire fantastique de cette montre.

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