La marque à la couronne a toujours su être une oreille attentive pour l’élaboration de garde-temps dédiés aux professionnels. Qu’ils soient plongeurs ou aviateurs, la manufacture genevoise a su répondre aux demandes de chacun. La Rolex Explorer de 1953 aidera deux alpinistes à conquérir l’Everest, tandis qu’en 1955, la Rolex GMT-Master avec son double fuseau horaire sera d’une grande utilité pour toutes les pilotes durant la folle expansion du transport aérien. Aujourd’hui, nous nous penchons sur une montre complètement différente : la Rolex Milgauss.

Cette montre répond à des besoins très particuliers : ceux des scientifiques et des ingénieurs qui oeuvrent chaque jour pour faire avancer la science et permettent une meilleure connaissance du monde qui nous entoure. Ces derniers ne sont pas confrontés à des profondeurs extrêmes avec une pression importante. Pour eux, l’ennemi, c’est le magnétisme, qui peut d’ailleurs être considéré comme l’un des pires phénomènes pour un passionné d’horlogerie. Ces forces invisibles et pourtant bien présentes peuvent, à la suite d’une exposition prolongée, fortement impacter la précision de votre montre, voire pire, entraîner l’arrêt complet de cette dernière. La cause de cet arrêt provient de l’enchevêtrement des spires du spiral appairé au balancier.

Les prouesses de la manufacture face aux contraintes magnétiques

C’est en 1956 qu’un partenariat va lier la manufacture de Hans Wilsdorf au Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire (CERN) pour faire naître la Rolex Milgauss. Le nom de ce modèle phare, provient de la contraction du mot mille qui deviendra « mil » et « Gauss » pour l’unité de mesure de l’induction magnétique. Les demandes des ingénieurs et scientifiques du CERN étaient claires : concevoir une montre pouvant résister aux champs électromagnétiques. En effet, il existait un véritable problème pour les scientifiques qui travaillaient au CERN, car les différents accélérateurs de particules causaient des dommages irréparables aux montres du fait de la grande induction magnétique régnant dans les lieux. Les montres que vous portez quotidiennement, sauf si vous êtes l’heureux détenteur d’une Milgauss, peuvent résister à un champ électromagnétique allant de 50 à 100 gauss, tout en sachant que la force de l’attraction terrestre représente 0,5 gauss et celui de l’aimant qui permet de réaliser des IRM représente 15,000 gauss. L’objectif fut accompli avec brio par les artisans horlogers de chez Rolex qui ont su créer une montre capable de résister à une pression électromagnétique de 1,000 gauss dont le test fut certifié par le CERN lui même.

Vous vous posez sans doute la question : comment Rolex a pu réaliser cette prouesse ? Nous allons tout de suite mettre fin à ce mystère : les artisans horlogers de la manufacture helvétique vont utiliser le calibre 1080, qui n’est pas très différent des autres calibres qu’ils utilisaient à l’époque. La véritable différence vis-à-vis des autres modèles va être au niveau de l’élaboration du boîtier. Rolex va créer une cage résistante au magnétisme en fer doux au sein du boîtier afin de permettre à ce dernier de résister aux champs magnétiques. Ce procédé fut l’objet d’un brevet en 1954 et se nomme cage de Faraday en référence au nom du scientifique l’ayant conçu.

La première Milgauss empruntera les codes de la Submariner, pièce maîtresse de la marque à la couronne, avec une lunette unidirectionnelle, un cadran noir et un bracelet Oyster. Toutefois, on note quelques différences quand on la regarde de plus près. D’une part, au niveau du cadran, les Rolex Milgauss utilisaient des aiguilles glaives à la différence des aiguilles « Mercedes » présentes sur les Rolex Submariner. On observe aussi la différence au niveau de la couleur et la texture du cadran. La montre à destination des scientifiques disposait d’un cadran avec une texture en nid d’abeille noir alors que la montre équipant les plongeurs n’avait pas cette finition gaufrée. Enfin, on observe à midi l’inscription « Milgauss » dans un rouge saisissant et en lettres capitales. Cette première série dite réf. 6543 sera produite pendant 2 ans avant d’être remplacée par la 6541 qui viendra donner une caractéristique qui deviendra emblématique au modèle : l’aiguille éclair.

Dans les années 1960, Rolex décidera de donner un nouveau design à sa Milgauss avec la réf. 1019. Le cadran noir nid d’abeille disparaît, tout comme l’aiguille éclair et la lunette unidirectionnelle, pour voir apparaître un coup de maître chez Rolex en matière de conception. Ce modèle sera proposé avec 3 cadrans différents : en noir, argenté avec index phosphorescents, puis argenté avec des index pleins non enduits de produits phosphorescents au tritium. Ce dernier modèle a été spécialement réalisé pour les chercheurs du CERN car le tritium crée des interférences gênantes lors de certaines expérimentations nécessitant une grande minutie. Ce modèle est avant tout ce que Rolex sait faire de mieux : sobre, intemporel et élégant. Toutefois, les consommateurs de l’époque n’appréciaient pas le design malgré le fait qu’aujourd’hui, ce modèle est un des plus demandés sur le marché de l’occasion notamment le modèle 1019 avec le cadran dit « CERN ». En 1988, la manque de demande sonnera le glas pour ce modèle.

La renaissance et l’explosion d’un modèle phare

Il faudra attendre le Baselworld de 2007 pour voir renaître la Milgauss sous la référence 116400 qui créa véritablement la surprise. En effet, Rolex va proposer une montre avec des index et une aiguille en forme d’éclair oranges sous un verre saphir vert étonna beaucoup de monde. Pour l’anecdote, la teinte verte du verre de saphir fut tellement complexe à élaborer par Rolex que la marque à la couronne n’a pas déposé de brevet pour protéger ce procédé de fabrication, estimant être la seule à pouvoir le créer. Dans un boîtier de 40mm en acier 904L, cette référence 116400 est équipée d’un calibre 3131 et fut la première montre résistante aux champs magnétiques certifiée par le Contrôle Officiel Suisse des Chronomètres (COSC). Rolex s’inspira des modèles parents, en ajoutant la lunette lisse du modèle 1019 mais aussi de la fameuse aiguille des secondes en forme d’éclair du modèle 6541. Enfin, pour parfaire la résistance à l’induction magnétique, Rolex ajoutera au calibre de sa Milgauss un ressort spiral et une roue d’échappement amagnétique. Ce sont pas moins de 3 versions qui seront proposées par la manufacture helvétique avec notamment un verre saphir classique sur cadran noir ou blanc, mais aussi la Milgauss dite GV pour glace verte avec un cadran noir.

Ce choix artistique osé pour le renouveau de la Milgauss sera un véritable succès. En 2014, également au Baselworld, la manufacture à la couronne réitéra à nouveau le coup avec le modèle « Z Blue ». Dans la lignée de la Milgauss et reprenant tous les codes qui font d’elle un des garde-temps emblématiques de chez Rolex, la Z Blue arbore un cadran d’un magnifique bleu électrique. En plus de ses caractéristiques techniques concernant les champs magnétiques, la Rolex Milgauss est étanche à 100 mètres.

Avec la Milgauss, la marque à la couronne a su créer un véritable signe de ralliement derrière sa montre et son aiguille en forme d’éclair à la couleur orange qui équipe aujourd’hui de nombreux scientifiques mais aussi de nombreux collectionneurs. Qui aurait pu croire que ce modèle abandonné par Rolex à la fin des années 1980 deviendrait aussi emblématique ?

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