C’est un acteur incontournable dans la sphère horlogère hexagonale. Un entrepreneur né ayant créé un empire à une vitesse saisissante. Loin des dynasties familiales, Edouard Genton est un homme parti de rien et qui, à force de travail, s’est dessiné une trajectoire hors-norme. Après Laurent Picciotto ou encore Sébastien Lepage, nous partons à la rencontre de cet homme ayant conquis l’horlogerie dans le Grand-Est et qui pourrait bien offrir la place Vendôme à toutes les provinces françaises.
Ludovic : En quelques mots, qui est Edouard Genton ?
Édouard : J’ai quarante-quatre ans, je suis marié depuis vingt ans à Melissa, nous avons deux enfants qui s’appellent Edgar et Rose et qui ont respectivement quatorze et douze ans. On habite Strasbourg et on est horloger-bijoutier.
Ludovic : Ton parcours de vie t’a amené à vivre dans plusieurs pays. Peux-tu nous raconter tout ça ?
Édouard : Oui, effectivement, je suis né à Nancy en 1978, le 14 décembre très exactement. J’y suis resté un an et demi à peu près et ensuite mon papa, qui était diplomate à l’époque, a été nommé attaché culturel à Boston. Donc j’ai passé les cinq années suivantes aux États-Unis où j’ai d’ailleurs appris à parler anglais avant de parler français, puis je suis retourné à Paris pour mon CP et jusqu’à ma cinquième. On est parti en pleine année scolaire d’ailleurs, à Berlin, où mon papa s’occupait des deux instituts culturels français en Allemagne, parce que le mur venait juste de tomber mais il y avait encore Berlin Est et Berlin Ouest. On a passé quasiment quatre ans là-bas, qui étaient quatre années formidables, puis mon papa s’est détaché du Quai d’Orsay et a écrit sa thèse. Du coup, il est rentré en France à Strasbourg pour devenir universitaire, ce qui est sa passion depuis tout petit.
Une fois qu’on est arrivé à Strasbourg donc, je suis rentré pour ma première au lycée Kléber. J’y ai d’ailleurs rencontré Melissa et depuis, on ne s’est pas quittés. On le comprendra plus tard dans l’interview, mais c’est clairement quelqu’un qui a été et qui est d’ailleurs toujours très important dans ma vie. C’est ce qu’on appelle un pilier. Ensuite, j’ai passé mon bac à Strasbourg, puis après une année de droit qui n’a servi à rien, j’ai fait un IUT à Nancy puis une école de commerce à Paris qui s’appelle l’ISC. Ma cinquième année d’étude était spécialisée en entrepreneuriat, et en fait, j’ai fait une étude de marché sur l’ouverture d’une boutique à Strasbourg. J’ai été diplômé au mois de juin 2003, je me suis marié en août 2003 et j’ai ouvert la première boutique fin 2003.
Ludovic : À quel moment as-tu commencé à t’intéresser aux montres ? Y en a-t-il une en particulier qui a déclenché ton amour pour l’horlogerie ?
Édouard : Mon amour pour l’horlogerie vient de ma plus tendre enfance. J’avais un grand-père qui était passionné de montres et qui m’a transmis cette passion. Et en fait, très jeune, je me suis dit que ce serait quand même bien de pouvoir vivre de ma passion, donc je me suis posé les bonnes questions de façon tout à fait objective en me demandant ce qui me faisait plaisir dans la vie. À l’époque, je jouais pas trop mal au tennis, mais j’avais aussi déjà un amour pour l’horlogerie et pour le monde du luxe. Donc tout naturellement, je me suis mis à beaucoup me documenter sur ce milieu.
Je rêvais à l’époque que mes parents m’offrent une montre de luxe. C’était une Breitling, que je n’ai jamais eu d’ailleurs, mais ça ne m’a pas empêché de rentrer dans ce métier. Et c’est certainement pour ça, certainement grâce aussi à cette éducation, qui était une éducation un peu vissée que j’ai eu envie d’aller au-delà des choses et de me donner du mal pour réussir à atteindre les objectifs que je me suis fixés.
Et oui, Il y a une montre en particulier qui a été un peu un déclencheur de cette passion, qui n’a absolument rien d’extraordinaire, et en même temps c’est une montre extrêmement symbolique. C’est une montre que mes parents m’ont offert au Cap Ferret, dans un surf shop qui existe toujours d’ailleurs, un peu de plongée et qui était toute noire. Alors à l’époque, il y avait des traitements des boîtiers noirs qui ne tenaient absolument pas, mais je voyais cette montre comme la huitième merveille du monde. Et c’est une montre que j’ai toujours d’ailleurs.
Ludovic : Au lendemain de tes études en école de commerce à Paris, tu as ouvert une boutique de montres de luxe à seulement 24 ans. C’est très inhabituel. Comment as-tu réussi cette prouesse ?
Édouard : Effectivement, quand je suis parti faire mon IUT à Nancy, j’ai vraiment commencé par la petite porte en tant que vendeur extra. C’était un job étudiant où je travaillais les mercredis après-midi parce que j’avais cours le matin, les samedis et puis toutes les vacances. J’ai travaillé dans la bijouterie Valer qui était une bijouterie familiale basée à Nancy, et que j’ai fini par par racheter il y a trois ans maintenant. C’est clairement monsieur Bernard Valer qui m’a introduit dans ce milieu, qui m’a aussi permis de développer justement cet amour de l’horlogerie et de la joaillerie – parce qu’on ne fait pas que des montres – et je ne l’ai jamais quitté. C’est-à-dire que à l’issue de mon IUT, je suis allé faire une école de commerce à Paris, et toutes mes vacances, je les passais à travailler chez lui à Nancy. Donc je faisais des allers-retours en train et à l’époque il n’y avait pas le TGV, mais mon envie était là et elle l’est toujours d’ailleurs. Donc j’ai tout naturellement appris avec lui. Et à l’époque, j’avais le retour de tous les commerciaux qui nous visitaient, puisque on travaillait déjà avec de très grandes maisons comme Breguet, Jaeger-LeCoultre, IWC ou autres, et toutes ces marques-là nous disaient qu’il y avait un vrai marché de haute horlogerie à prendre à Strasbourg puisqu’il n’y avait qu’un seul confrère généraliste. Et vu que Mélissa venait de Strasbourg et bien, je me suis dit, allez, on va aller s’installer là-bas, de façon tout à fait naturelle. Donc, on a ouvert effectivement fin 2003 avec des marques assez pointues à l’époque, puisqu’on avait ouvert avec Breguet, Blancpain, Glashütte Original, Corum et Bell & Ross, puis également de la haute joaillerie avec des fabrications spéciales en rubis, en diamants, etc.
Je voudrais quand même rendre hommage à César, puisqu’il faut savoir le faire aussi. Je suis vraiment partie d’une feuille blanche, je pense que tout le monde a compris que j’étais étudiant et que je n’avais pas du tout d’apport personnel à l’époque, donc je me suis endetté. Et il y a une personne qui a clairement contribué à mes débuts, cette personne, elle s’appelle Florence Ollivier, c’est l’ancienne Directrice Générale du Swatch Group qui m’a accordé sa confiance à seulement vingt-quatre ans. Donc j’avais effectivement les marques dont j’ai parlé, du Swatch Group, soit Breguet, Blancpain et Glashütte Original, et elle m’a vraiment permis d’amorcer la pompe financièrement en nous faisant des échelonnements pour nos traites. Clairement, ça a contribué aussi au fait qu’on ait pu se développer.
Ludovic : Les choses ont bien changé depuis tes débuts; peux-tu nous présenter le groupe aujourd’hui ?
Alors oui, effectivement, les choses ont vraiment changé puisque quand je me suis installé en 2003, j’étais seul à travailler dans la boutique. Donc je n’ai quasiment pas vu le jour pendant plus de trois ans, je n’ai pas pris de vacances pendant plus de trois ans parce qu’il a vraiment fallu faire démarrer cet outil de travail qui est extraordinaire. Ensuite, j’ai acheté une deuxième boutique, une troisième, une quatrième, etc… Pour le petit clin d’oeil, j’ai ouvert ma deuxième boutique à la naissance de mon premier enfant, Edgar en 2008, et j’ai ouvert ma troisième boutique à la naissance de ma fille rose en 2010. Ensuite j’ai arrêté les enfants, mais j’ai pas arrêté les boutiques !
Et oui, le marché a énormément évolué. Quand je me suis installé, les grands groupes horlogers étaient en pleine construction, les marques elles-mêmes étaient en pleine construction, et je pense qu’on a vraiment participé à cette construction de marché. Par exemple, on a ouvert une grande boutique en 2011 à Strasbourg, au 6 rue du Temple-Neuf, qui était un peu pilote à l’époque, puisque c’était l’une des premières boutiques à avoir des marques avec des corners. L’idée, c’était vraiment au maximum d’avoir une représentativité de la marque, de leur environnement, de leur ADN, des produits, des familles de produits, des sous-familles, etc. Et donc ça, ça a été un grand tournant. Et plus récemment, on s’est mis à ouvrir des boutiques mono-marques. Avec Breitling, on était les premiers en région, avec TAG Heuer également, IWC aussi, et là on ouvre Panerai à Strasbourg. Pour le coup, on plonge dans l’univers de la marque, c’est-à-dire que dès qu’on ouvre la porte d’une boutique comme IWC qu’on vient d’ouvrir à Strasbourg, et bien on est chez eux. C’est-à-dire qu’on a tous leurs meubles, on a toute la gamme et on a un personnel formidable qui est très bien formé et qui doit savoir répondre à toutes les questions techniques de nos clients, puis les accompagner au mieux dans leur choix.
Aujourd’hui, on est un groupe qu’on appelle multicanal, donc on a douze boutiques physiques, dont des multi-marques et des mono-marques. On a également une boutique en ligne qui nous demande beaucoup de temps qui est supervisée par Mélissa, avec trois développeurs qui travaillent d’arrache-pied sur le site qui évolue tout le temps. On est représenté essentiellement dans le Nord-Est de la France, mais aussi à Tours et au Cap Ferret. On a également, et c’est un vrai atout pour notre groupe, développé notre propre logiciel de gestion. On y est depuis depuis quatre ans et ça me permet de gérer au plus juste au quotidien tout en suivant l’évolution de la société.
Ludovic : Ton rêve était d’offrir la Place Vendôme à la province; ton objectif est-il atteint ou te reste-t-il des territoires à conquérir ?
Édouard : Effectivement, c’était l’objectif que je m’étais fixé et que j’ai toujours en tête, puisque nous ne sommes que présents dans le Nord-Est. Et bien évidemment, vu que je suis un entrepreneur né, j’ai toujours envie d’aller plus loin, d’aller plus fort, d’aller plus vite. Je pense qu’on n’est qu’au début du cycle en France, c’est-à-dire que quand je compare des marques comme TAG Heuer par exemple, et bien, le marché au UK est cinq fois plus important que celui en France. Donc je pense qu’il faut aller dans des villes dites de moyenne taille, c’est ce qu’on s’efforce de faire et on est ravi de le faire. On a d’ailleurs ouvert une boutique à Tours en fin d’année dernière, en 2022. Les Tourangeaux sont des gens extraordinaires et surtout, on se rend compte qu’il y a une vraie demande sur des produits horlogers pointus. Donc c’est sûr que contrairement à ce que peuvent penser certaines marques de luxe, et bien le luxe n’est pas que à Paris ou que à Lyon, ou que dans le Sud de la France, il y en a partout. En revanche, il faut être proche des gens, il faut être à l’écoute, il faut le bon service et on essaye au maximum de leur faire passer un moment inoubliable.
Ludovic : Ton approche est très différente de celle des boutiques de luxe traditionnelles. Penses-tu que le fait d’avoir été créateur plutôt que repreneur a forgé cette différence ?
Édouard : Oui, certainement. C’est-à-dire que quand on part d’une feuille blanche, c’est à la fois plus compliqué puisqu’il y a tout à faire et à la fois plus simple parce qu’on est libre. Je pense que la liberté aujourd’hui, elle n’a pas de prix et pour tout dans la vie. C’est d’ailleurs pour ça que je dis souvent à mes enfants que je ne que je ne construis pas cette société pour eux et qu’il faut absolument qu’ils trouvent leur chemin, qu’ils trouvent leur voie, qu’ils rencontrent des difficultés, qu’ils aient aussi le goût du challenge, le goût du risque et le goût de l’envie. Ensuite, notre style de boutique, notre style d’accueil, etc, il nous est propre. J’ai à l’esprit qu’on ne peut pas plaire à tout le monde, et en tout cas, on fait notre travail le mieux possible, de façon extrêmement sérieuse et extrêmement rigoureuse, dans une ambiance décontractée. On essaye toujours une fois de plus de satisfaire nos clients puisque c’est vraiment notre priorité absolue.
Ludovic : Ta femme Melissa, que tu as rencontrée sur les bancs du lycée, semble avoir une place prépondérante dans la société. Comment faites-vous pour décrocher et ne pas parler travail à la maison ?
Édouard : C’est très difficile de pas parler travail à la maison, mais en fait, ce n’est pas un travail, c’est un art de vivre ! On a la chance de faire ce que l’on aime, la chance de travailler tous les jours avec une équipe formidable qui, d’ailleurs, j’en profite pour le souligner parce que ça nous tient à cœur, respecte vraiment la parité hommes-femmes. On se veut très proche de nos collaborateurs et on se veut aussi très proche de nos fournisseurs avec lesquels on passe beaucoup de temps. Il y a également au sein de plusieurs marques des gens formidables avec lesquels on s’entend très bien et avec qui on partage une vraie vision commune sur la destinée du luxe. Et une fois de plus, travailler avec nos clients, c’est un vrai plaisir puisqu’en fait, on offre du bonheur aux gens. On essaye vraiment d’être à leur écoute et de leur faire passer des moments inoubliables. L’achat d’une montre, c’est aussi le début d’une histoire et je pense que c’est important qu’on soit aussi les prescripteurs de cette nouvelle aventure.
Ludovic : Est-ce que le fait d’ouvrir une boutique au Cap Ferret, soit aux antipodes du Grand Est, n’était pas le prétexte idéal pour travailler en vacances ?
Édouard : Bien sûr que si puisque j’ai du mal à décrocher ! Et une fois de plus, c’est un tel plaisir qu’en fait, j’ai le sentiment de ne jamais travailler, ou de tout le temps travailler, tout dépend de comment on se place. En fait, le Cap Ferret, j’y vais depuis ma plus tendre enfance, mes arrière-grands-parents y avaient une maison à l’époque, et donc moi, c’était là aussi un clin d’œil à mon enfance et aussi une vraie envie d’aller rencontrer cette clientèle qui n’est pas dans notre zone de chalandise. On a la chance d’avoir un collaborateur extraordinaire qui s’appelle Romain, qui est un grand passionné d’horlogerie et qui est sur place, puisque c’est une boutique ouverte à l’année, et il fait un travail de fond remarquable. Et là aussi nos fournisseurs, les grands groupes horlogers, nous font confiance et nous autorisent à représenter certaines marques de façon continue au Cap Ferret.
Ludovic : Sinon, quel est le meilleur conseil que tu pourrais donner à une amateur de montres ?
Édouard : Alors, j’ai peur de répondre à côté. Je sais pas si on parle dans un cadre entrepreneurial ou dans un cadre de début de collection de montres. Si c’est un cadre entrepreneurial, la seule phrase qui me vient en tête, c’est quand on veut, on peut, donc tout est possible dans la vie et je dis bien tout. Et si c’est le côté amateur de montres qui n’a pas encore acheté ses premières montres, je pense qu’on a la chance d’avoir beaucoup de conseils extérieurs et aussi grâce au Petit Poussoir d’orienter déjà ses goûts avant tout, et ensuite de faire un choix en fonction de ce que l’on aime et de vers quoi on a envie d’aller, surtout des sensibilités qui sont différentes les uns des autres.
Ludovic : Et à part entreprendre, as-tu d’autres passions dans la vie ?
Édouard : Des passions, je n’en manque pas ! J’ai déjà une passion pour ma famille bien évidemment, mais j’ai aussi la chance d’avoir l’un de mes proches collaborateurs qui m’a donné goût pour la course à pied. Donc j’ai la chance de courir de deux à trois fois par semaine, pas de très longues distances, mais on court entre dix et quinze kilomètres. Ça permet à la fois de s’aérer la tête, de se maintenir en forme et aussi de rester focus sur nos objectifs entrepreneuriaux justement. Et ensuite, je suis un bon vivant, donc j’aime beaucoup de choses dont l’art contemporain que je collectionne depuis 2006.
Ludovic : Un petit mot pour la fin ? Une primeur sur un projet en cours ?
Édouard : Une fois de plus, un grand merci pour cette interview et pour la pertinence des questions. Et vraiment, merci, parce que c’est aussi grâce à vous que l’horlogerie se porte bien et que les gens s’y connaissent de mieux en mieux. On ne peut que s’en réjouir parce qu’il y a tellement de choses à dire, puisque là aussi il y a un travail en amont qui est fait par les manufactures qui est extraordinaire. Donc merci de partager toutes ces informations-là avec ta communauté. Et une petite primeur, oui, parce qu’une fois de plus, des projets on en a toujours. On va s’exporter et c’est la première fois qu’on va ouvrir à l’international, puisqu’on va ouvrir une boutique mono-marque à Luxembourg avec une maison que l’on apprécie tout particulièrement qui s’appelle IWC.