Il y a quelques semaines, vous avez pu découvrir notre sélection de montres à grande réserve de marche. Mais sous ce terme quasi-militaire, comprenez-vous son fonctionnement ou son utilité ? Pour répondre adéquatement à cette question, nous avons préparé un article complet sur le sujet. Voici donc tout ce que vous devez savoir sur la réserve de marche !

La réserve de marche, quésaco ?

La réserve de marche, c’est l’autonomie de la montre, soit le nombre d’heures pendant lesquelles elle peut fonctionner avant de s’arrêter. Dans une montre à quartz, c’est la pile qui génère l’énergie nécessaire à la vibration du cristal de quartz et à l’alimentation du ou des micro-moteurs entraînant les aiguilles. Dans une montre mécanique, c’est un ou plusieurs ressorts qui délivrent petit à petit la force motrice nécessaire au déplacement des aiguilles et des différentes complications. Il est intéressant, au préalable, de se rendre compte de ce que représentait la possession d’une montre, alors à gousset, jusqu’au XIXème siècle. Pour les gentilshommes de l’époque, le remontage et la mise à l’heure n’était pas qu’une simple formalité, mais une obligation et un exercice relativement technique. Il fallait se munir de la clé de remontoir fournie par le fabricant, puis la mise à l’heure se faisait souvent en agissant directement sur les aiguilles après avoir ôté le verre. Un vrai sacerdoce ! Et un sacré problème quand on égarait la clé en question.

Ce n’est qu’en 1838 que Louis Audemars présenta une montre avec un remontoir à couronne, préalable indispensable à ce que nous connaissons aujourd’hui. Notons qu’il n’en a pas la paternité, le brevet ayant été déposé en 1820 par Thomas Prest, un horloger anglais. Amusant, le premier système de remontage automatique attribué à Abraham-Louis Perrelet est antérieur, puisqu’il remonte à 1770 ! De nos jours, heureusement, nous pouvons effectuer le remontage de nos montres via la couronne, mais cette opération peut s’avérer fastidieuse quand on possède une montre avec un ressort très long, ou pire, plusieurs barillets ! D’où la réapparition des remontages par clé (chez A. Lange & Söhne avec la Lange 31 par exemple), ou via des gadgets étonnants comme Hublot pour le remontage de sa MP-05 La Ferrari Tourbillon, qui livre un pistolet électrique permettant le remontage des 11 barillets montés en série pour offrir 50 jours de réserve de marche ! Mais pour quoi faire ?

Une grande réserve de marche, quel intérêt ?

L’intérêt d’une grande réserve de marche dépend du type de montre et de son usage. Dans le cas d’une montre à remontage manuel, il va permettre d’espacer les séances de remontage. Opération fastidieuse pour certains propriétaires, petit moment de plaisir pour d’autres qui les connecte un peu plus à leur précieuse tocante tel un rituel de communion homme/machine. S’il s’agit d’une montre sportive, portée essentiellement le week-end, une réserve de marche suffisante peut permettre de la poser le dimanche soir dans sa boîte, et de la reprendre le vendredi en mode « Friday wear » sans avoir besoin de la remettre à l’heure. Si celle-ci est automatique, elle regagnera son autonomie maximale au cours du week-end, prête pour un nouveau cycle.

Autre intérêt, les montres à complications telles que les phases de lune, les calendriers complets ou pire, perpétuels, équation du temps, etc. nécessitent de fastidieuses opérations de réglages. L’intérêt d’un fonctionnement continu est alors indéniable car les remontoirs automatiques ne peuvent rien pour une pièce à remontage manuel ! Une autonomie confortable permet donc de s’affranchir des séances de remontage, d’autant plus si votre collection est importante. Mais comment travaille-t-on pour obtenir une grande réserve de marche ? Quels sont les éléments techniques sur lesquels les horlogers se concentrent pour obtenir des résultats aussi spectaculaires que 65 jours d’autonomie, soit 1560 heures?

Autonomie ou économie ? Les deux, mon capitaine !

On peut faire un parallèle avec les véhicules à moteur, quels qu’ils soient, et travailler sur deux axes : la capacité de carburant embarqué et l’efficience, c’est à dire la capacité à utiliser au mieux ce carburant. Dans ce cadre, on peut augmenter la taille des réservoirs pour emporter plus de carburant (mais on augmente le poids et on grève donc l’efficience), ou travailler à mieux utiliser ce dernier, à moins le gaspiller en optimisant tout ce qui peut l’être mécaniquement (diminuer les pertes de rendement, optimiser l’aérodynamisme, maximiser l’énergie créée par chaque goutte de carburant injectée…). Il en va de même en horlogerie. L’énergie d’une montre dépend directement du barillet, au sein duquel se trouve un ressort. Ce ressort est tendu dans la phase de remontage, et sa détente contrôlée par l’échappement, alimente le mécanisme de la montre. Plus le ressort est long, plus la réserve de marche est grande.

On peut ainsi travailler sur le matériau qui compose le ressort, pour optimiser sa capacité à se tendre et se détendre, ou pour en diminuer son épaisseur, permettant de mettre un ressort plus long dans le barillet. On peut aussi jouer sur le nombre de barillets, permettant de multiplier d’autant le nombre de ressorts et donc la réserve de marche. Mais on peut aussi, et c’est même souhaitable, travailler sur tout ce qu’alimente le ressort, afin que cette énergie ne soit pas gaspillée en frictions ou en pertes : nombre d’éléments à mouvoir, masse de ceux-ci, minimisation des frictions par optimisation de la lubrification sont quelques pistes. Il est évident qu’une montre dont le ressort n’a besoin d’alimenter que trois aiguilles sans complication aura une plus grande autonomie que si on lui ajoute une date, un indicateur de réserve de marche, un module chronographe ou une phase de lune. Autant de complications qui nécessitent des composants complémentaires consommateurs de la précieuse énergie contenue dans le barillet.

Réserve de marche, en heures, en jours, en semaines !

La réserve de marche moyenne d’un calibre courant tourne autour de 38-42 heures, même si la tendance est haussière depuis 2-3 ans. Un vrai argument différenciant pour les marques. L’horlogerie moderne bénéficie de toutes les avancées permises par les nouveaux matériaux. Élasticité, légèreté, lubrification, autant de paramètres qui participent à l’augmentation de la réserve de marche. Ainsi le Swatch Group propose de nombreux produits offrant 80 heures de réserve de marche en ayant retravaillé le calibre ETA 2824-2 (que l’on retrouve chez Tissot avec le Powermatic 80 ou Hamilton avec le H-10 par exemple) en optimisant le barillet : diminution du diamètre de l’axe central du barillet, nouvel alliage pour la fabrication du ressort permettant d’en réduire l’épaisseur et d’en optimiser l’élasticité, ce qui permet de mettre un ressort plus long, et donc d’offrir 80 heures de réserve de marche au lieu des 38 heures du calibre de base.

Seiko a également récemment introduit un calibre offrant 70 heures de réserve de marche, le 6R35, ce qui était une nécessité devant sa volonté de monter en gamme. Ce calibre utilise un alliage propriétaire pour la réalisation du ressort de barillet, le Spron 510 qui offre des caractéristiques très intéressantes dans une utilisation horlogère : il est amagnétique, possède une haute élasticité et une haute résistance au stress. Outre le travail sur l’autonomie à proprement parler comme nous l’avons déjà vu, d’autres paramètres peuvent être optimisés afin d’arriver au résultat escompté. Quand les premières montres à gousset tournaient sur des axes en laiton, les rubis synthétiques assurent désormais un fonctionnement beaucoup plus libre en limitant les frictions sur tous les axes des calibres. Autant de pertes énergétiques éliminées.

La fréquence de marche du calibre joue également un rôle prépondérant. Quand un calibre à haute fréquence de 5Hz (36’000A/h) détend le ressort 10 fois par seconde, un calibre à 3Hz (21’600A/h) ne bat que 6 fois par seconde, économisant autant d’énergie. Dans le cas des calibres Tissot/Hamilton puis Seiko mentionnés plus haut, la fréquence a été rabaissée de 28’800 (4Hz) à 21’600 (3Hz), soit 30% environ. Au détriment de la précision pourraient avancer les uns, pas forcément avec les matériaux modernes amagnétiques pourraient rétorquer les autres. Vacheron Constantin propose même le meilleur des deux mondes avec la Twin Beat pouvant fonctionner à la demande à seulement 1,2Hz (8’640A/h) pour économiser de l’énergie en mode veille, offrant alors 65 jours de réserve de marche, soit 1560 heures !

Réserve de marche : l’apprécier, la mesurer

Bénéficier d’une grande autonomie, c’est bien. Être capable de savoir avec précision la réserve de marche restante, c’est mieux. Complication parmi d’autres, l’indicateur de réserve de marche peut se présenter de différentes manières. Souvent côté cadran, on peut aussi le retrouver côté calibre quand la pureté du cadran l’exige, ou au contraire, quand la surcharge de complications l’oblige (chez Grand Seiko par exemple). Souvent représenté dans un segment circulaire, il peut être linéaire (chez Panerai) ou au contraire non-linéaire (chez Oris) pour une précision plus importante quand approche le moment de remonter le calibre. Souvent traité comme une information secondaire, il peut parfois être abordé avec plus d’égard et bénéficier de traitements de faveur, comme par exemple chez MB&F qui lui offre de la verticalité, Nomos Glashütte qui lui fait la part belle au cadran de sa Lambda, voire Greubel Forsey qui en fait l’indication majeure de sa Art Piece 2 Edition 2 de 2017.

Sur la réserve ?

Alors, cette course à la plus grande réserve de marche, réel intérêt ou faire-valoir horloger ? La réponse se situe sans doute là où on veut la trouver. L’exploit technique garantit indéniablement prestige et renommée à la maison qui le revendique. Le confort qu’une réserve de marche supérieure  à 3 jours apporte n’est pas négligeable. Élément important de choix pour certains, dérisoire pour d’autres, c’est une caractéristique technique en progrès, comme l’est la précision et la constance isochronique. Et on ne peut que s’en réjouir !