Après Auricoste ou Glycine, nous poursuivons notre immersion dans l’univers incroyable des marques horlogères méconnues mais qui pourtant ont une histoire passionnante ! Et c’est au tour d’Enicar de se prêter au jeu. Une marque plus que centenaire, qui est notamment à l’origine de l’une des montres les plus emblématiques des années 50 et 60 : la Sherpa. Alors sans plus attendre, plongeons dans l’histoire d’Enicar et de son modèle mythique.

Des origines qui remontent au début du XVIIIème siècle

La famille Racine, basée à Granges en Suisse

L’histoire d’Enicar est étroitement liée à celle de la famille Racine. Il s’agit d’une famille d’horlogers suisses, réputés pour leur savoir-faire dès le début du XVIIIème siècle. Ils sont impliqués dans de nombreux ateliers horlogers, à tel point que l’un d’entre eux, Jules Racine Sr dépose même le nom de « Racine » comme marque horlogère. Si bien que lorsque Ariste Racine et sa femme Emma Blatt inaugurent leur Manufacture d’Horlogerie Ariste Racine en 1913, ils ne peuvent pas vendre leurs montres sous leur propre nom. Et c’est Emma qui trouve la parade : inverser les lettres du nom Racine, pour obtenir le nom de leur marque : Enicar. Le nom est déposé officiellement en 1914.

Des débuts modestes et une ouverture précoce vers l’Asie

Emma et Ariste Racine

Ariste Racine connaît des débuts modestes, se contentant d’exercer son métier depuis la maison familiale. Mais le succès vient avec un modèle de montre de poche au boîtier ovale en forme de larme, qui comprend un logement pour une boussole ou une photo. Cette montre s’exporte très bien en Allemagne, Russie mais aussi en Chine. Déjà, le marché asiatique prend une part importante dans l’histoire de la marque… mais nous y reviendrons. La marque poursuit ensuite son développement, puis Ariste et Emma sont rapidement rejoints par d’autres membres de la famille Racine.

1953 : l’Enicar Ultrasonic

Une Enicar Ultrasonic produite dans les années 1960

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, Enicar connaît un nouvel élan, sous l’impulsion d’Ariste Racine Jr. Celui-ci modernise la compagnie et mise sur un nouvel argument commercial : l’Ultrasonic. Il s’agit en fait d’un procédé de nettoyage des mouvements à base d’ultrasons dans une solution liquide, mis en place dans l’usine Enicar à partir de 1953. Une méthode innovante pour l’époque qui assurait, selon Enicar, une meilleure longévité aux mouvements. Ainsi, la mention Ultrasonic se retrouve sur beaucoup de modèles de la marque des années 50 et 60, et notamment la Sea Pearl, la montre de plongée d’Enicar.

Une manufacture à part entière

La manufacture Enicar et le calibre 1125

Enicar n’est pas qu’un emboîteur de montres. C’est aussi une manufacture à part entière, qui développe et réalise ses propres mouvements. Dès le début des années 20, Enicar produit des calibres nommés AR (pour Ariste Racine). Mais Enicar ne s’arrête pas là et, dans les années 50, c’est plus de 70,000 mouvements qui sont produits chaque année. Des calibres qui jouissent d’une solide réputation, avec notamment le calibre 1010 qui obtient la certification de Chronomètre de l’Observatoire de Neuchâtel en 1954. Cinq ans plus tard, en 1959, Enicar inaugure son premier mouvement automatique, le calibre 1125. Parallèlement à cela, la marque utilise également des mouvements tiers, provenant de Valjoux ou Lemania, essentiellement pour ses chronographes.

1956 : la Sherpa, la montre emblématique d’Enicar

Une Enicar Sherpa de 1956

Comme de nombreuses autres marques des années 50, Enicar fournit des montres à diverses expéditions. Le but est évidemment de prouver la robustesse des montres face aux plus rudes conditions. Et le moins que l’on puise dire, c’est que Enicar n’y va pas de main morte ! En 1956, la marque fournit des modèles Sea Pearl à une expédition suisse en Himalaya, qui atteint les sommets du Lhotse (8516m) et de l’Everest (8849m). Un exploit qui fait grand bruit et qui donne lieu la même année à la création de la Sherpa, la montre emblématique d’Enicar, qui tire bien évidemment son nom des guides népalais indispensables à ce genre d’aventure. Mais ce n’est pas tout ! L’année suivante, en 1957, Enicar fixe un chronomètre Sherpa Ultrasonic à la coque du Mayflower II, une réplique à l’identique du voilier anglais connu pour avoir transporté les Pilgrim Fathers (les Pères Pèlerins) en Amérique en 1620. Le bateau traverse l’Atlantique et la montre ressort de l’eau en parfait état de fonctionnement, offrant alors à Enicar un deuxième coup de pub incroyable. Ainsi la même année, Enicar dévoile une nouvelle montre de plongée : la Sherpa Dive.

L’Enicar Sherpa Ultradive d’Alain Delon

Symbole de robustesse et de fiabilité la Sherpa s’impose rapidement comme le best-seller du catalogue Enicar. En 30 ans de carrière, la Sherpa compte plus de 100 déclinaisons ! Mais en prenant un peu de recul, on peut distinguer deux grandes familles : les chronographes Sherpa Graph, et les plongeuses Sherpa Dive. On retrouve d’ailleurs cette dernière sur le poignet d’Alain Delon dans le film Les Aventuriers (1967), dans une magnifique – et rare – configuration avec une trotteuse à double lollipop. Plus proche de nous, c’est un autre grand collectionneur de montres qui met en avant Enicar : Ed Sheeran. Connu pour son goût immodéré pour les plus références les plus exclusives, le chanteur anglais possède également une Enicar Sherpa Ultradive, équipée d’un boîtier super-compressor réalisé par EPSA (Ervin Piquerez SA), comme la Glycine Combat de 1967.

Années 60-70 : Enicar Star ou l’aventure du quartz

Une Enicar Star produite dans les années 1960

Dans les années 60, de nombreuses montres Enicar reçurent la mention « Star« . Il s’agit en fait d’une volonté de modernisation de la marque, via l’introduction de l’électricité dans les mouvements. Ainsi, Enicar inaugure son premier mouvement électro-mécanique en 1961, et prend ensuite part au projet CEH Beta 21 : le premier mouvement suisse à quartz, réalisé par le Centre Electronique Horloger de Neuchâtel, aux côtés, entre autres, de Rolex, Omega, IWC, Longines Patek Philippe, Zodiac, Doxa, Jaeger-LeCoultre et Zenith. Enicar fait même partie des marques pionnières dans le quartz, avec un premier modèle à quartz dévoilé dès 1970.

La Sherpa Graph « Jim Clark »

Jim Clark avec son Enicar Sherpa Graph

Parmi les modèles remarquables de la marque, comment ne pas évoquer l’Enicar Sherpa Graph « Jim Clark » ? Le pilote de course britannique Jim Clark porte en effet une Enicar sur les circuits entre 1963 et 1966. Il s’agit d’une Enicar Sherpa Graph MK 1b, un chronographe au charme fou, cadran gris et sous-compteurs blancs, équipé du fameux calibre chronographe à remontage manuel Valjoux 72. Celui-ci porte ce chronographe monté sur un bracelet Tropic blanc, qui lui va à ravir, et qui parfait son style sportif. Ainsi, à l’image de l’Universal Genève « Nina Rindt », cette référence 1308 reçoit le sobriquet de Enicar Sherpa Graph « Jim Clark ». Pour la petite histoire, et pour célébrer sa victoire au Championnat du monde de 1963, le pilote donne une montre similaire à la sienne à chaque membre de son équipe, gravée au dos de « in appreciation World Championship – 1963 – Jim Clark« . Une pépite aujourd’hui très recherchée par les collectionneurs de chronographes vintage et dont la côte atteint des sommets.

Le marché asiatique en bouée de sauvetage

Lei Feng, figure importante de la propagande en RPC

Le 13 Novembre 1987, Enicar dépose le bilan. La crise du quartz a été trop violente pour la marque, qui n’a pas su redresser la barre. Les mouvements (notamment le calibre Enicar 165) et les boîtiers sont vendus à l’horloger allemand Gerd-Ruediger Lang, le fondateur de la marque Chronoswiss, qui s’en servira comme base pour ses propres modèles. Mais depuis les années 20, Enicar est très présent en Asie. Et dès les années 30, la Chine est l’une des principales destinations des montres de la marque. Même le chinois Lei Feng, figure de proue de la propagande communiste chinoise des années 50-60, porte une Enicar ! Ainsi, en 1988, il n’est guère étonnant que la marque soit rachetée par la société Wah Ming Hong Ltd. Il s’agit en fait du distributeur historique d’Enicar en Chine, dont le partenariat remonte aux années 30. Wah Ming Hong Ltd profite de la popularité d’Enicar en Chine pour se concentrer sur le marché asiatique, et ainsi maintenir la production. Enicar devient même l’une des 10 marques horlogères les plus importées en Chine. En 1994, Enicar est même sélectionnée comme sponsor des Jeux Asiatiques d’Hiroshima au Japon, et en 1996 la marque sponsorise la délégation chinoise aux Jeux Olympiques d’Atlanta.

Enicar aujourd’hui : l’ombre d’elle-même

Finalement, même si les conditions de production sont quelque peu obscures (malgré un « swiss made » sur le cadran presque suspect), Enicar est aujourd’hui toujours en vie. Mais la marque n’est que l’ombre d’elle-même, et les montres actuelles n’ont rien à voir avec les « vraies » montres Enicar. Il s’agit surtout de modèles à quartz sans autre intérêt que le nom de la marque. Et il faudrait alors attendre une nouvelle renaissance de la marque, pour revoir la Sherpa sur le devant de la scène. Mais sait-on jamais ? Avec une telle histoire, ce ne serait que mérité…

Visiter le site officiel d’Enicar.