C’est une marque française de référence. Aussi historique que dynamique, Yema fait un travail admirable depuis son rachat par le groupe Ambre en 2009. Nous sommes d’ailleurs allés les voir, directement à Morteau, pour être témoins de leur travail en tant que manufacture. C’est notamment durant cette excursion que nous avons fait la connaissance de Christopher Bôle. Aujourd’hui, nous passons un moment avec ce jeune Directeur Général, un homme attachant et sacrément impliqué dans le développement de cette pierre angulaire de l’horlogerie française.
Ludovic : En quelques mots, qui est Christopher Bôle ?
Christopher : Un jeune papa, tombé dans l’horlogerie dès l’enfance. J’ai intégré l’entreprise familiale, la maison horlogère française Ambre, il y a environ une dizaine d’années, même si forcément, j’y suis plongé et proche depuis ma naissance. Aujourd’hui, je suis le Directeur Général de ce groupe qui détient notamment la marque horlogère YEMA.
Ludovic : Pour toi, l’horlogerie est une histoire de famille. Peux tu nous faire un petit historique ?
Christopher : L’horlogerie est ancrée dans ma famille depuis plus de 400 ans. Historiquement, ce métier/passion était exercé principalement par les agriculteurs du Hauts-Doubs afin de combler les longs et froids hivers, typiques de notre région. Mes grands-parents ont créé le groupe Ambre en 1965 et se sont spécialisés dans la vente et l’export de montres à l’international. Mon père a hérité de la gestion de l’entreprise dès 1988, suite à la disparition accidentelle de mes deux grands-parents.
Ludovic : Te souviens-tu de ta toute première montre ?
Christopher : Bien sûr, il s’agissait d’une montre « Bonne nuit les petits » que j’avais reçue à l’âge de 3 ans. J’en ai encore aujourd’hui quelques vagues souvenirs, puis à l’âge de 6 ans, j’ai eu le plaisir de porter une montre dont je ne me souviens plus de la marque mais du fait qu’elle était équipée d’un bracelet acier. Lorsque que je la portais, j’avais la sensation de ressembler aux adultes.
Ludovic : Et quelle est celle qui a déclenché ta passion pour l’horlogerie ?
Christopher : Ma passion n’est pas liée à une montre en particulier, c’est tout un ensemble. J’ai toujours baigné dans l’horlogerie, que ce soit à travers l’entreprise familiale, mon père et même grâce à la ville de Morteau dont je suis originaire. Morteau a toujours été et plus encore à l’époque, une ville horlogère. Nous sommes également à quelques kilomètres à peine du Locle et de La Chaux-de-Fonds, où de nombreux de mes amis travaillent pour différentes maisons horlogères suisses de renom. De manière générale, l’horlogerie est même plus qu’une passion, c’est mon quotidien, ma vie, mon naturel.
Ludovic : À la fin de tes études, tu as repris les rênes de Yema. Étais-tu prédestiné à rejoindre l’aventure familiale ?
Christopher : Naturellement oui – nécessairement non – j’ai d’abord souhaité me forger mes propres compétences en fonction de ce que j’aimais. J’ai d’abord effectué des études en école de commerce et me suis spécialisé dans le contrôle de gestion. C’est ensuite l’amour grandissant que je portais pour YEMA et la passion pour l’horlogerie qui m’ont rattrapé et m’ont convaincu, à un moment bien choisi, d’apporter ma contribution à l’entreprise familiale et de manière plus générale à l’industrie horlogère française.
Ludovic : Pour le coup, comment as-tu fait tes armes ?
Christopher : Naturellement, mon père m’a fait effectuer plusieurs stages au sein de l’entreprise afin de découvrir certaines facettes du métier. Par la suite, j’ai souhaité également m’immerger dans différentes fonctions, je suis passé par les ateliers, la gestion de stock, les expéditions, etc. afin de connaître plusieurs aspects différents du fonctionnement d’une maison horlogère. En ce qui concerne YEMA, j’ai passé d’interminables heures sur Internet, sur des forums ou à consulter d’anciennes archives afin de retracer le parcours très riche de cette marque.
Ludovic : Depuis ton arrivée, la marque a connu une évolution fulgurante. Peux-tu nous dire tout ce qui a été mis en place pour y arriver ?
Christopher : Tout d’abord, il a été question de se rapprocher un maximum de la communauté de passionnés et amateurs de la marque YEMA. Ensuite, nous avons souhaité coller un maximum à l’ADN même de la marque YEMA en éditant les designs des modèles les plus iconiques afin de relancer la « machine”. Nous avons également effectué un travail conséquent et précurseur sur le marché du “online” à travers des boutiques digitales et au plus près de nos clients, qu’ils soient francophones ou internationaux. Puis, nous avons travaillé sur des designs plus inédits afin d’apporter modernité, toujours en conservant une identité propre à YEMA.
Parallèlement, nous avons toujours eu l’ambition de maximiser la qualité de nos produits mais également de renforcer la force d’indépendance de notre maison horlogère. Nous avons donc sollicité plusieurs experts spécialisés tant sur la conception et habillage de nos modèles mais aussi sur la conception et amélioration de nos ou futurs mouvements. C’est une immense fierté d’avoir pu présenter récemment notre premier calibre Manufacture avec le CMM.20 et très prochainement le CMM.10. Ces différentes évolutions représentent des investissements conséquents et d’ailleurs en partie financés à l’aide de campagnes de communication internationales en crowdfunding, ce qui peut surprendre pour une marque établie comme la nôtre, mais qui nous a paru finalement astucieux pour renforcer la croissance et l’indépendance de notre maison horlogère française.
Ludovic : Y a-t-il une particularité qui permet à Yema de se démarquer des autres marques ?
Christopher : Elles sont en réalité nombreuses. YEMA est une marque horlogère française avec une histoire très riche, parfois même plus importante encore que certaines grandes marques suisses. C’est également une marque avec une forte identité et des designs de modèles très singuliers, je pense notamment aux Flygraf, Yachtingraf, Rallygraf, Navygraf ou bien évidemment la Superman. C’est aussi une marque qui a toujours su s’associer à des personnalités, sportifs, ou institutions de renoms. Nous sommes très fiers d’être, notamment aujourd’hui, partenaire officiel de l’Armée de l’Air & de l’Espace et de la Marine Nationale.
Ludovic : Tu es aussi très impliqué dans le design des montres. Qu’est-ce qui te plaît le plus dans cette étape de la production ?
Christopher : Le travail de conception des premiers dessins est extrêmement stimulant, car il me permet d’oser. C’est ensuite une longue période de mise à l’épreuve, éprouvante mais excitante entre l’idée de départ et la conception même de celle-ci. C’est ensuite une satisfaction de découvrir les premiers prototypes puis une consécration lorsque le modèle est approuvé par le grand public.
Ludovic : Parlons mouvements. Quelles sont les différences entre les calibres de grade standard (YEMA 2000 & YEMA 3000) puis ceux de grade manufacture (CMM.20 & CMM.10) ?
Christopher : Il est important de distinguer les différences entre Calibres “Maison” (YEMA 2000 & YEMA 3000) qui sont des mouvements qui ont été conçus et développés en interne mais qui sont composés de pièces provenant de tiers puis assemblés au sein de nos ateliers, avec les calibres Manufacture (CMM.20 & CMM.10) qui ont aussi été conçus et développés par nos soins mais qui en plus sont en partie directement fabriqués au sein de notre structure. Cette dernière particularité nous permet notamment de ne plus êtres tributaires de marchés extérieurs et de pouvoir contrôler avec souplesse et à notre guise nos besoins de production, qu’ils soient plus larges ou plus restreints selon les modèles. De plus, l’internalisation et la relocalisation de la fabrication de nos pièces nous permet de gagner en qualité et en précision.
Ludovic : Et à terme, quelle place prendront les mouvements manufacturés dans votre catalogue ?
Christopher : Dans le futur, notre désir est évidemment, dans la mesure du possible, de prioriser la fabrication interne et donc le développement de nos calibres Manufacture. Comme évoqué plus haut, cela nous permet une meilleure gestion de la production et renforce notre indépendance vis-à-vis du marché suisse.
Ludovic : Avec des archives aussi remplies, pourquoi avoir pris le pari de créer une collection de toutes pièces comme l’Urban Field ?
Christopher : Il nous paraît important de ne pas tomber sur une dépendance exclusive aux modèles d’époque. La vérité actuelle sur l’attrait des modèles vintages ne sera pas forcément celle de demain. C’est pourquoi j’ai souhaité concevoir une montre qui conserve l’ADN de la marque tout en apportant une touche distinctive. Mon objectif était également de proposer un modèle plus contemporain, en incluant un verre saphir au dos du boîtier. J’ai voulu créer une pièce classique, mais dotée de caractère, à la croisée de la tradition et de la modernité.
Ludovic : Vous avez aussi signé un beau partenariat avec l’écurie Alpine Endurance. Comment s’est déroulée cette fameuse course du centenaire des 24 Heures du Mans ?
Christopher : Les 24 heures du Mans font échos aux développements, aux performances et à la longévité. Ce sont des valeurs dans lesquelles, nous nous reconnaissons parfaitement. Nous sommes très fiers de ce partenariat avec Alpine Endurance Team pour les 3 prochaines saisons et nous avons hâte de les accompagner dès l’année prochaine dans la catégorie reine des Hypercars. La marque Alpine, c’est aussi beaucoup de similitudes avec la marque YEMA, deux entités françaises avec des ateliers de fabrication en France, des heures de gloire dans le passé, et une renaissance récente mais puissante. Il nous paraissait évident d’unir nos forces.
Ludovic : Avant de finir, on doit te demander : quelle est ta montre Yema préférée ? Pourquoi celle-ci en particulier ?
Christopher : La Wristmaster puisqu’elle est le parfait exemple d’un modèle de montre moderne, nouvelle, tout en gardant une inspiration dans l’histoire et le passé de YEMA. C’est aussi un modèle pour lequel j’ai beaucoup participé au design, allant même parfois à l’encontre de certaines appréhensions au sein de mon équipe de designers. Sa réussite n’a fait que renforcer mes convictions et c’est aussi la raison pour laquelle, nous avons choisi ce modèle pour intégrer le CMM.20.
Ludovic : Un petit mot pour la fin ? Une primeur sur un projet en cours ?
Christopher : Je dirai “réindustrialisation », c’est le premier mot qui me vient à l’esprit puisque nous sommes justement en pleine phase de transition vers un fonctionnement de manufacture et que nous nous efforçons de relocaliser un maximum notre fabrication. Nous sommes très fiers de dynamiser à nouveau l’industrie horlogère française et d’être l’une des rares manufactures françaises. La conception de nos nouveaux calibres manufacture est un engagement fort, le fruit d’investissements importants et d’une certaine prise de risque, indispensable à toute entreprise qui souhaite avancer et progresser. D’abord un Micro-Rotor, un calibre 3 aiguilles ensuite et pourquoi pas un tourbillon à présent ?