Rencontre avec Guillaume Adam, Secrétaire Général de France Horlogerie

Après les interviews des dirigeants de Yema puis de Sartory Billard, nous continuons à échanger avec les acteurs de l’horlogerie française. Cette fois-ci cependant, le rôle de la personne que nous avons rencontrée est totalement différent. Il s’agit de Guillaume Adam, Secrétaire Général de France Horlogerie, une organisation professionnelle ayant pour but premier de réindustrialiser le secteur horloger pour redorer le blason du Made in France. Et à notre grande surprise, l’industrie horlogère française est bien plus importante que ce que nous avions imaginé…

Ludovic : En quelques mots, qui est Guillaume Adam ?

Guillaume : Diplômé de Sciences Po Paris en Affaires Publiques en 2006, j’ai d’abord travaillé à l’Assemblée nationale avant de rejoindre le secteur des organisations professionnelles en 2013. Après 7 ans années en Affaires réglementaires et européennes au sein d’IGNES (Industries du Génie Numérique, Énergétique et Sécuritaire) et de la FIEEC (Fédération des Industries Électrique, Electronique et de Communciation), j’ai exercé concomitamment entre 2020 et 2023 les fonctions de Délégué Général du Syndicat Professionnel de la Distribution en Électronique Industriel (SPDEI), de Délégué permanent du Comité Stratégique de Filière Électronique et de Directeur des Affaires européennes et Numérique de la FIEEC. En avril 2023, j’ai eu le plaisir de rejoindre France Horlogerie en tant que Secrétaire Général.

Ludovic : Comment en es-tu arrivé à devenir le Secrétaire Général de France Horlogerie ?

Guillaume : Mon parcours professionnel m’a permis de développer une expertise notamment dans les relations institutionnelles, la gestion d’organisation mais également l’animation de projets collectifs et transversaux dans plusieurs secteurs industriels. C’est cette expérience que je m’attache à apporter à la filière de fabrication horlogère française, un magnifique secteur alliant les métiers d’art et l’industrie. Sans être collectionneur, la montre a toujours représenté pour moi un savoir-faire d’excellence et suis donc particulièrement heureux de travailler au service des entreprises de cet écosystème d’excellence.

Ludovic : Entre Francéclat et France Horlogerie, on peut s’y perdre. Peux-tu nous expliquer quel est le rôle de chacun ?

Guillaume : France Horlogerie, créée en 1947, est l’organisation professionnelle représentative qui regroupe les trois secteurs d’activité de la chaîne de valeur de la fabrication horlogère française :

• les marques de montres (du design à l’assemblage réalisé en propre ou en sous-traitance, diffusion de licences)
• les composants de montres (boîtes, aiguilles, mouvements et pièces constitutives, bracelets…)
• l’horlogerie de gros volume (distribution et synchronisation horaire, horlogerie industrielle)

Ses principales missions sont de :

• représenter la filière de la fabrication horlogère française auprès des partenaires institutionnels et économiques
• fédérer les acteurs de la chaîne de valeur et porter des projets collectifs favorisant le développement de l’industrie horlogère de demain
• promouvoir les savoir-faire et l’excellence horlogère en France et à l’international
• accompagner les entreprises dans l’application des réglementations et normes et promouvoir les bonnes pratiques professionnelles

Francéclat quant à lui est le comité professionnel de développement économique créé par la loi du 22 juin 1978, à l’initiative de France Horlogerie. Il exerce une mission de service public pour le soutien aux secteurs de l’horlogerie, mais également de la bijouterie et des arts de la table.

Ludovic : La réindustrialisation semble être devenue la priorité de l’organisation dans laquelle tu travailles. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?

Guillaume : Les études menées par France Horlogerie et les retours d’expérience des détaillants depuis deux ans font état d’un attrait de plus en plus fort des consommateurs pour les montres Made in France ou celles reflétant le mode de vie à la française. Cette dynamique, nous y reviendrons, se traduit par l’émergence de nombreuses nouvelles marques de montres et un dynamisme fort des marques iconiques françaises. Dans ce contexte, une demande émerge chez ces fabricants pour les composants français constitutifs de la montre. Il convient donc de consolider et de soutenir le développement des acteurs de la fabrication de composants qui sont déjà très nombreux et dotés d’une magnifique expertise en France. D’où l’importance de réindustrialiser et de favoriser l’innovation dans ce secteur pour disposer d’une offre qui réponde pleinement à cette demande croissante.

Ludovic : On a tendance à penser que l’industrie horlogère française s’est éteinte. As-tu des chiffres à nous communiquer pour nous prouver le contraire ?

Guillaume : L’industrie horlogère française, s’appuyant sur une tradition multi-centenaire et sur une résilience particulièrement forte, est aujourd’hui particulièrement dynamique. Dans son ensemble, la fabrication horlogère française (montres, composants et gros volume) a représenté 381 M € de chiffre d’affaires en 2022, en progression de + 12% par rapport 2021. Il s’agit du meilleur chiffre d’affaires des 20 dernières années. La filière compte ainsi 92 entreprises et près de 3 000 emplois répartis sur le territoire en 2022. Elle exporte 79% de son chiffre d’affaires faisant de la France le 5^e exportateur mondial de montres et le 4^e exportateur mondial de composants et de bracelets de montres. C’est donc un marché à la fois vif et solide sur lequel la France peut s’appuyer.

Ludovic : Pour le coup, si la taille des acteurs est si imposante, comment se fait-il que la majorité des marques françaises se fournissent en Suisse ou en Asie ?

Guillaume : L’horlogerie est un marché internationalisé, c’est vrai pour la France comme pour la Suisse ou d’autres pays. Au regard de l’intérêt du consommateur pour le Fabriqué en France, de nombreuses marques de montres françaises intègrent néanmoins désormais pour une partie de leur gamme de montre des composants français dans la fabrication. Certaines développent leurs propres composants, notamment des calibres maisons, et font appel à des partenaires français qui développent des produits de grande qualité, comme par exemple pour les aiguilles, les bracelets, les verres…

Ludovic : Il y a également un exode transfrontalier d’horlogers français allant travailler en Suisse. Peux-tu nous en dire plus sur ce phénomène et sur son ampleur ?

Guillaume : Comme je l’indiquais, la France a su en dépit des crises traversées conserver un savoir-faire exceptionnel issu d’un magnifique héritage et d’innovations constantes. Ce savoir-faire est également le fruit d’un écosystème complet de formation, la France formant des horlogers et ingénieurs reconnus mondialement grâce à sa dizaine de lycées professionnels, ses centres de formation continu, son école d’ingénieur en microtechnique ou encore son centre de recherche. Les marques horlogères suisses s’appuient ainsi sur ces compétences d’exception pour développer leurs produits, ces salariés traversant souvent quotidiennement la frontière pour aller travailler. C’est tout à l’honneur de notre système de formation horloger et un témoignage de sa grande qualité. Cependant, il existe – nous en sommes convaincus – un magnifique avenir pour ces horlogers auprès des marques et fabricants de composants français, qui peuvent leur offrir des expériences riches et uniques, avec une belle qualité de travail et de vie.

Ludovic : Que faudrait-il donc faire pour redynamiser l’industrie horlogère française ?

Guillaume : L’industrie horlogère française est à un moment charnière de son histoire. Elle bénéficie d’un regard nouveau porté par l’appétit du consommateur pour ses marques. Pour transformer l’essai, ce qui est essentiel, c’est de mieux faire coopérer les différents maillons de la chaîne de valeur de la filière, notamment entre marques de montres et fabricants. C’est l’ambition de la stratégie de réindustrialisation forte que porte France Horlogerie depuis 2 ans. Nous avons ainsi identifié à l’occasion des études que nous avons menées 120 M d’euros de besoins d’investissements productifs dans notre filière (étude Square 2022), l’Etat ayant même estimé ces besoins à 180 M d’euros (étude EY 2023). Pour accompagner cette dynamique, deux facteurs sont déterminants : créer des espaces de collaboration permettant de développer des projets industriels concrets de composants grâce à une modernisation et à une numérisation de l’outil productif, favoriser l’innovation pour créer les conditions de nouveaux business models.

Ludovic : Et concrètement, comment est-ce que France Horlogerie peut accompagner les entreprises en ce sens ?

Guillaume : Cette stratégie de réindustrialisation suscite un engouement important auprès de nos marques et fabricants et dispose du plein soutien des Pouvoirs publics, qu’il s’agisse de l’Etat ou des collectivités territoriales concernées comme les EPCI, les Départements, les Régions. Instance fédérant l’ensemble des acteurs de la fabrication horlogère française, France Horlogerie fait désormais entrer sa stratégie de réindustrialisation dans une phase opérationnelle avec la création prochaine de deux outils majeurs. En premier lieu, un Espace Collaboratif d’Innovation, qui vise à créer un écosystème favorable à l’émergence de nouveaux acteurs et d’innovations disruptives dans le secteur horloger, en impliquant les entreprises de la chaîne de valeur horlogère, les écoles et centres de recherche, les acteurs publics… En second lieu des grappes d’entreprises rassemblant fabricants de montres et de composants, autour de plusieurs axes de développement produits dans l’optique de favoriser des projets industriels majeurs grâce au renforcement et à la modernisation des outils industriels.

Ludovic : Est-ce qu’une entreprise française désirant développer ses propres outils de production peut compter sur des aides de l’Etat ou des administrations locales ?

Guillaume : La filière horlogère française dispose de plusieurs outils opérés avec Francéclat : Fonds France Horlogerie, Fonds de la Société de développement de l’horlogerie, Fonds Turenne. Ces dispositifs peuvent répondre à différents niveaux aux besoins de trésorerie des entreprises qui souhaitent développer des projets. Par ailleurs, les entreprises françaises peuvent candidater à des soutiens publics notamment dans le cadre du programme national France 2030, des dispositifs de soutien développés par Bpifrance, du programme Territoire d’industrie ou encore d’aides régionales.

Ludovic : Et techniquement, que doit-on faire pour prétendre au label « made in France » sur une montre ?

Guillaume : Pour être en droit d’afficher « fabriqué en France » (ou « Made in France ») sur l’un de ses produits ou son emballage, le fabricant a la responsabilité de s’assurer que celui-ci répond aux critères d’origine non préférentielle établis par le Code des douanes de l’Union européenne. Les douanes françaises (DGDDI) précisent ces critères et contrôlent leur respect à l’importation. Le produit doit :

• ou bien avoir subi en France sa dernière « transformation substantielle », ce qui correspond le plus souvent à un changement de codification douanière,
• ou bien respecter un seuil minimum de valeur ajoutée produite en France du prix « sortie d’usine » (45 % pour les montres).

Le marquage « made in France » ou « fabriqué en France » peut figurer sur une montre si l’assemblage de la montre induisant un changement de position tarifaire, confère l’origine française. Cette opération constitue une ouvraison substantielle qui donne naissance à un produit nouveau. Par assemblage de la montre, il faut entendre emboîtage du mouvement, pose joints, cadran, aiguilles, couronne et poussoirs, verre, bracelet puis lanternage/contrôle final de la montre terminée. La seule pose du bracelet ne confère pas le changement de position tarifaire. Il existe également une certification Origine France Garantie. Elle est attribuée par un organisme certificateur indépendant qui vérifie que le produit est bien fabriqué à 100 % en France et qu’au moins 50% des frais de fabrication (matières premières comprises) du produit sont d’origine française.

Ludovic : Le projet Aîon a donné de l’espoir mais était au final un immense feu de paille. Cela a-t-il eu des répercussions néfastes sur l’industrie ?

Guillaume : France Horlogerie n’était pas partie prenante à ce projet. Notre organisation a quant à elle construit sa stratégie de réindustrialisation sur la base d’une étude extrêmement rigoureuse et documentée (Etude Square 2022) s’appuyant sur l’analyse de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur, étude dont les conclusions ont été largement corroborées par l’étude d’Ernst & Young commandée par l’Etat (2023). L’expression des besoins des marques de montres françaises est claire et les solutions apportées pour développer l’offre de composants fabriqués en France ambitieuses et construites sur des fondements solides.

Ludovic : Est-ce réaliste de penser qu’un jour l’horlogerie française retrouvera sa superbe du siècle dernier ?

Guillaume : L’horlogerie française est déjà un acteur important du marché horloger au niveau mondial. L’initiative majeure que porte France Horlogerie contribuera nous en sommes convaincus à favoriser et accompagner l’essor de ce magnifique secteur. Cette stratégie de réindustrialisation a vocation à s’inscrire dans le long terme avec comme horizon 2030 : environ 1 200 emplois supplémentaires et 250 M d’euros de chiffres d’affaires annuels supplémentaires sont anticipés pour la filière horlogère française à cette date. Elle devrait enfin permettre de réduire de 1,5 M de tonnes par an les émissions de gaz à effet de serre.

Ludovic : Les marques horlogères françaises commencent à se faire nombreuses. Pourquoi ne pas organiser un salon de l’horlogerie française ?

Guillaume : De nombreux événements ponctuent déjà le calendrier de la filière horlogère : Journées d’Achats, Salon du Made in France, expositions multiples par exemple auprès des détaillants ou à l’occasion de manifestations de partenaires, présence forte des marques françaises dans de nombreux salons à l’étranger, en Suisse, à Hong Kong, au Japon, aux Etats-Unis, au Canada, en Allemagne, en Italie… Autant d’opportunités pour faire rayonner leurs superbes savoir-faire.

Ludovic : Pour finir, as-tu un message à adresser aux professionnels du secteur, voire aux particuliers cherchant à consommer de l’horlogerie française ?

Guillaume : Un message de confiance et d’optimisme ! De nombreuses marques vous l’avez dit émergent sur notre territoire, des marques iconiques grandissent. Elles ouvrent aux consommateurs une offre croissante de montres de très grande qualité fabriquées en France. Il est essentiel que tous les acteurs de la filière horlogère française partagent, travaillent de concert et coopèrent sur des projets collectifs structurants dans cette direction. Je les invite ainsi à rejoindre France Horlogerie qui s’attelle avec force et détermination à cette mission. L’histoire si riche, la capacité de création et d’innovation du secteur horloger français sont des atouts incroyables sur lesquels il convient de capitaliser. La France a toute sa place parmi les grandes nations horlogères.

Visiter le site officiel de France Horlogerie.