Le chemin parcouru par Yema depuis 2018 est spectaculaire. Depuis la reprise de la marque par le groupe Ambre appartenant à la famille Bôle, puis avec la nomination du jeune Christopher Bôle en tant que Directeur Général, Yema a fait preuve d’une fougue et d’une prise d’initiative rare. Même chez les suisses qui sont pourtant aux portes de Morteau. En se rapprochant de l’un des meilleurs concepteurs-horlogers de sa génération, basé à seulement 20 minutes à Neuchâtel, la maison française a plus avancé en 5 ans que durant les 50 années écoulées avant cela. Des premiers mouvements manufactures ont déjà été dévoilés, mais l’enjeu véritable repose véritablement sur le calibre CMM.10 qui amorce une toute nouvelle ère pour Yema. C’est justement le sujet du jour.

Du calibre maison au calibre manufacture

Vous connaissez certainement les calibres YEMA2000 et YEMA3000, dévoilés en 2020 et étiquetés du « Grade Standard » sur le site de la marque. Ceux-ci n’étaient pas réellement nouveaux car ils étaient tous deux dérivés du calibre MPB1000 développé par le groupe Ambre en 2011, soit à peine deux ans après l’acquisition de la marque Yema, et essentiellement utilisé pour la marque Yonger & Bresson appartenant au groupe. Ce lien technique permettait d’interchanger les pièces tout en améliorant les performances des mouvements. Mais tandis que ces calibres étaient conçus et assemblés à Morteau, Yema demeurait entièrement dépendante de ses confrères suisses pour la fabrication des pièces, lui empêchant de passer au grade de manufacture. Le CMM.20 a amorcé la pompe, mais c’est véritablement avec le CMM.10 que Yema passe un grand cap.

Une évolution chapeautée par Olivier Mory

Commençons par parler de la notion de manufacture qui est devenue bien abstraite. Par définition, cela désigne le fait de concevoir et de produire entièrement un mouvement en interne. Sauf que la réalité est tout autre. Car si vous pensez au ressort de barillet, au balancier avec son ressort spiral, voire même à l’échappement avec son ancre, ces pièces usinées à l’échelle du micron sont en vérité rarement produites par les grandes marques elles-mêmes. Et ce n’est pas plus mal tant ce savoir-faire est spécifique. L’analogie d’Olivier Mory avec les pneus Michelin pour le secteur automobile illustre très bien ce propos : autant passer par les meilleurs que faire moins bien soi-même. C’est d’ailleurs qui a rendu possible l’évolution de Yema au rang de manufacture. Ce véritable génie de l’horlogerie est passé par les plus grands noms de la haute horlogerie, notamment Audemars Piguet et Richard Mille, avant de s’intéresser à l’industrialisation des mouvements en travaillant chez Sellita puis ensuite chez ValFleurier. Il s’est ensuite mis à son compte et a décidé de s’attaquer à toutes les grandes complications, du quantième perpétuel à la répétition minutes, puis au tourbillon dont il a fait une spécialité. Chez lui, tout est pensé pour être simplifié afin de pouvoir suivre les mêmes méthodes que les grands industriels du milieu, dans le but de produire des mouvements plus fiables et plus abordables. Et c’est par le plus grand des hasards que ce français naturalisé suisse s’est rapproché de la maison mortuacienne dont il a immédiatement admiré l’audace.

Des investissements colossaux

 

La requête de départ de Christopher Bôle était de faire évoluer les calibres YEMA2000 et YEMA3000 pour les faire passer au grade de manufacture. Plutôt que de partir d’une feuille blanche, Olivier Mory leur a conseillé de garder certains des composants existants qui étaient bons, puis de changer le reste en optimisant l’architecture. Mais sans trop s’en éloigner, tout en la gardant évolutive, puis en ajoutant au passage une petite signature stylistique. Le pont traversant central en est la preuve la plus percutante. L’idée était de pouvoir créer une base sur laquelle pourraient se greffer des complications, mais qui pourrait également être squelettée. Le grade de manufacture est donc porté par le fait que Yema usine désormais les ponts et platines de ses mouvements, ce qui constitue le plus gros des composants. Le reste est ensuite assemblé et réglé sur place. Les mouvements sont conçus en interne avec l’aide d’Olivier Mory qui les a orienté sur les machines à acquérir. Il faut d’ailleurs savoir que les machines sont achetées neuves par les plus grandes maisons, puis ensuite rachetées par les plus petites. Nous ne pourrons pas mentionner les noms figurant sur ces machines, mais sachez qu’ils font rêver. Sur ce marché de l’occasion hors-norme, chaque bête à son poids, en tonnes comme monétaire. Avec des coûts avoisinant les 300-400K€ par machine, et en sachant que Yema en a désormais trois, on jauge mieux le pari qu’elle a fait tant il est conséquent. Gardez en tête que la société, qui demeure une PME d’une trentaine de personnes, fonctionne bien mais est loin d’avoir les liquidités d’une grande entreprise. Vous comprendrez donc mieux pourquoi la marqu

Quid des CMM.20 & CMM.30 ?

À ce stade, vous vous posez certainement une question pertinente : si le CMM.10 est la base des calibres Yema, pourquoi sort-il après le CMM.20 et le CMM.30 ? Une fois de plus, il faut se pencher sur le cas Olivier Mory. N’oublions pas que c’est un concepteur-horloger : créer des mouvements et les prototyper, c’est son métier. Si vous pouviez voir ses machines (ce qui est notre cas), toutes très anciennes et manuelles, ces « licornes » comme il les nomme, vous seriez bluffé. Grâce à une licence de production que Yema est la seule à avoir, elle peut produire ses mouvements depuis Morteau et ainsi se départir du côté « fabriqué en Suisse ». Le micro-rotor de la Wristmaster est donc arrivé si rapidement grâce à cela, leur permettant de roder les processus industriels afin de structurer une équipe adéquate puis de tester les machines d’usinage à une échelle assez conséquente pour s’assurer que la cadence suivrait celle nécessaire pour le CMM.10. Au niveau de la Yachtingraf Tourbillon Maréographe, c’est sensiblement la même chose. Le mouvement comme la complication sont aussi signés Olivier Mory, mais sont pour la première fois réunis à la demande de Yema, peut-être même dans toute l’histoire de l’horlogerie. Ce dernier test permet ainsi aux équipes de la maison française d’atteindre l’un des niveaux qualité les plus exigeants de l’industrie. Une fois qu’ils savent faire ça, il peuvent tout faire.

CMM.10 : le nouveau pilier de Yema

Nous avons eu la chance de le voir à la fin du mois d’août à Morteau. Le CMM.10 était emboîté au sein d’une Superman en bronze dotée d’un fond transparent. Et dire que nous pensions que c’était un prototype à des fins de test…il faut dire que nous étions obnubilés par la Yachtingraf Tourbillon Maréographe. Les choses ont changé et nous vous en parlerons très bientôt. Ce qui compte aujourd’hui, c’est ce fameux calibre. À première vue, sa finition microbillée pourrait laisser penser que Yema a voulu faire simple. Pourtant c’est tout le contraire. Contrairement aux cotes de Genève ou au perlage qui permettent de masquer les rayures les plus infimes, le sablage ne permet aucune erreur. De surcroît le traitement ALD (Atomic Layer Deposition) rend la tâche plus ardue car l’épaisseur microscopique ajoutée sur les pièces demande une rigueur extrême et un ajustement infinitésimal. Concernant les caractéristiques techniques du CMM.10, celles-ci sont exemplaires : une fréquence de marche de 28’800A/h (4Hz) pour offrir une trotteuse fluide, un grand barillet avec un ressort en Nivaflex permettant d’offrir 70 heures de réserve de marche, une déviation quotidienne de -3/+5 secondes par jour plus précise que le COSC, l’utilisation d’alliages non-magnétiques pour offrir une propriété amagnétique (notamment le balancier en Glucydur), un système Incabloc à double cône pour résister aux chocs, ainsi qu’un échappement optimisé pour maximiser l’utilisation de l’énergie fournie par les rouages. Sur le papier, ce mouvement moderne à haute performance n’a absolument rien à envier aux mouvements Kenissi. Ce qui est fou quand on voit la taille de Yema. Comme quoi Olivier Mory peut faire des miracles…du moins quand il rencontre une équipe ambitieuse. En bref : les lettres de noblesse de l’horlogerie française ont enfin été rendues !